Andrise Pierre: « J’écris pour être »

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L’écrivaine haïtienne Andrise Pierre est la lauréate du Prix SACD (Société des Auteurs Compositeurs dramatiques) 2020 de la Dramaturgie Francophone. Ce prix lui a été décerné à l’occasion du Festival – « Les Francophonies en octobre dernier » – des écritures de la scène. Mus’Elles est allé à sa rencontre. Elle est revenue, volontiers, sur cette distinction.

 Mus’Elles – À quoi devrait-on penser en premier quand on fait référence à Andrise Pierre ?

 Andrise Pierre: J’ignore à quoi on devrait penser en premier lorsqu’on pense à moi. Cela dépendra certainement de la personne et de mon rapport avec elle.  Pour ma part, il m’est autant difficile de me cadrer. Fille de Géranide ? sœur de Barbara ? femme ? féministe ? enseignante ? littéraire ? dramaturge… ? Je suis comme beaucoup de gens que je connais, incapable de rester en place. Je suis née et je vis à Port-au-Prince. J’ai fait des études de lettres modernes à l’École Normale Supérieure, puis enchainé avec un master de philosophie à l’Université Paris 8, cycle que je n’ai pas encore bouclé. Mon travail de recherche se porte sur Le motif de la mémoire faisant face à l’impunité et au silence dans l’œuvre d’Edwidge Danticat.

Aujourd’hui, j’enseigne la littérature française et la littérature haïtienne en cours secondaire. Je participe à des conférences sur l’enseignement de la littérature en tant que matière scolaire, le personnage féminin dans la littérature haïtienne. J’ai également une formation en littérature jeunesse et il m’arrive très souvent d’animer des clubs littéraires jeunesse.

Mus’Elles- Le fait de remporter le Prix SACD 2020 de la Dramaturgie Francophone, cela a-t-il eu impact sur vous, sur votre parcours ?

Andrise Pierre : Ce prix est pour moi un honneur. Les prix littéraires donnent une certaine reconnaissance au travail d’écriture. Ils sont en ce sens importants pour les autrices et auteurs. La dramaturge émergente que je suis ne conçoit pas ce prix comme une note d’excellence, c’est un encouragement, un boost, une porte ouverte sur d’autres opportunités, des rencontres, des aventures. Je suis rarement satisfaite de ce que j’écris. En même temps, lorsqu’on a lu de très bons auteurs comme Marie Vieux Chauvet, Leonora Miano, Louis-Philippe Dalembert, Jean-Luc Lagarce, Toni Morrison, Yasunari Kawabata, Maryse Condé, Kettly Mars… pour ne citer que ceux-là, on devient plus exigeant envers soi-même. Ce prix est une belle occasion pour moi de faire ce que je pense pouvoir faire le mieux : écrire.

 Mus’Elles- Elle voulait ou croyait vouloir et puis tout à coup elle ne veut plus, c’est assez long et innovant pour un titre, parlez-nous un peu de cette œuvre ?

Andrise Pierre : C’est en regardant le Verrou de Fragonard, peinture magnifique et surprenante, que j’ai eu envie d’écrire sur les subtilités du viol et d’explorer cette notion combien importante : le consentement.

Je me suis souvent questionnée sur le statut du violeur. Qui est-il ? Quel genre d’être humain peut avoir recours à une telle violence ? La focalisation se porte trop souvent sur un malade mental alors que la réalité a montré plus d’une fois que le violeur pouvait être n’importe qui. Qu’il n’est pas forcément un individu qui use de sa force physique ! Il peut-être celui qui utilise l’art de convaincre, de son pouvoir, sa position, pour étouffer le non-consentement. Le viol ce n’est pas toujours le drap taché, froissé, le désordre qui règne sur le lieu du crime. Cela peut-être plus subtile, plus voilé comme le désordre intérieur. Le viol peut être l’abandon face à l’insistance. C’est ce dont ma pièce traite. Elle voulait ou croyait vouloir et puis tout à coup elle ne veut plus ! est une histoire de vies, une histoire de femmes. Des existences ravagées dans une communauté qui prend la possession des femmes dans toute leur intimité. Une communauté qui dénie le droit à la liberté. Dénie le droit d’exister en dehors d’elle. Cette communauté du contrôle permanent qui dicte les manières d’être, de faire, de vivre…

Quoique ce n’était pas mon projet de départ, ce texte a été produite pendant ma résidence confinée au Centre Intermondes à la Rochelle.

Mus’Elles : Avec cette récompense à l’occasion du Festival Les Francophonies – Des écritures à la scène, quels sont vos projets d’avenir ?

Andrise Pierre: L’écriture est plus qu’une passion, j’écris pour être. L’écriture est mon engagement. Je suis lauréate du programme Visas pour la Création 2020 de l’Institut français, en partenariat avec ETC Caraïbe pour développer, lors d’une résidence de deux mois en Martinique, mon projet en cours « Que Dieu ne noircisse pas nos matrices » qui abordera la migration, l’adoption et le malaise de se sentir seul et différent dans une ville, dans une société.

En parallèle avec mes projets d’écritures dramatiques, je réalise avec Le centre Pen Haïti, dans le cadre du projet « Être une femme, écritures de l’altérité », une série radiophonique « Jiji et ses amis — Chronique d’une adolescence haïtienne ». Série destinée à un public adolescent et jeune adulte, qui traite des questions centrées sur une adolescence haïtienne féminine et qui tient compte du point de vue masculin. Nous ne pouvions pas déconstruire le sexisme sans nous interroger sur la masculinité et les stéréotypes qui y sont liés !

 Mus’Elles :  Souhaitez-vous partager avec nous un-extrait de votre pièce ?

Je répondrai avec quelques extraits de ma pièce.

« Regarde ! Yole vole de ses propres ailes. Elle est ce qu’elle veut être ! […]

Yole est comme cela lui chante sans personne pour juger de ses choix, de sa réputation de femme vertueuse, de femme pas assez femme ou trop femme, ou de putain.

[…]

Regarde ! Yole s’élève au milieu des pans de murs que tu as érigé autour d’elle. Yole n’affiche aucune réticence à son émancipation. Elle veut être partout du moment que ça lui concerne, que ça lui plaise.

La vérité c’est que Yole n’attend personne. Yole veut partir loin et revenir ici si elle a envie. Yole veut connaître d’autres ailleurs. Yole va se faire connaître par sa puissance. Yole est sa propre maîtresse. Yole sait faire la grève et crier son mécontentement. Yole a fatigué son corps dans les voluptés. Yole ne veut pas avoir d’enfants maintenant. Demain peut-être, ou jamais. À elle d’en décider. Yole n’a pas besoin qu’on vienne lui dire comment être une femme. Yole n’a rien à foutre de la perfection. »

Propos receuillis par Clairvina Dossié


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