Nasty luv, une expression libérée du corps des femmes

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Le 24 mars 2023, la rappeuse Kemberlee a publié, sur sa page officiel Youtube, une vidéo d’une chanson titrée nasty luv. Kemberlee est une jeune rappeuse, âgée de 26 ans.  Elle est une jeune femme engagée dans la vie sociale à travers une organisation qu’elle dirige qui vient en aide aux familles monoparentales, spécifiquement les mères célibataires. Elle est une jeune passionnée et amoureuse du rap.

Cette chanson met en scène une femme qui décrit les critères d’un homme idéal pour satisfaire ses fantasmes sexuels. Le contenu de la chanson montre une femme libérée qui n’a pas peur d’exprimer ses désirs sexuels.

La chanson débute avec le refrain en même temps que la femme tient son copain par la cravate, et l’entrainant derrière elle. Ces premières paroles sont chantées en montrant l’expression d’une femme très impliquée dans sa demande :

Tu peux me donner ton eau

Je te montrerai que je le bois même s’il a du bedann (poison mortel)

Je vais te donner du sexe soumission

Non, je ne suis pas Gray Christian

Tous les jours que je sois du griot[1] et toi de la banane

Si tu penses que c’est nécessaire, dis-le-moi boy

I need that, amène-toi que je te baise

Je suis nasty one, nasty one gyal

Je sais que tu as besoin d’amour

Ce comportement exprimé dans cette chanson, dans une société où la sexualité est encore une chose réprimée, peut être considéré comme déviant à la société. La sexualité dans la société haïtienne n’est pas un sujet de tous les jours mais, comme au temps de la bourgeoisie victorienne décrit par Foucault (1976), une réalité mise sous silence. « Autour du sexe, on se tait » (Foucault, 1976 :10). L’artiste dans cette chanson, exprime les interdits établis par la société dans les rapports de genre. Elle ose dire ce que, selon les normes sociétales, une femme n’est pas sensée dire à un homme ou dire tout simplement en tant que femme :

J’ai besoin d’un homme fort qui me rend femme à chaque qu’il me jouit

Du matériel solide, dur à chaque fois qu’il me drill

A man who knows how to sexin

Un homme sexy, qui peut parvenir à ouvrir mon robinet même avec ses textes.

La rappeuse met en discours le langage des corps et les différentes attitudes pendant l’acte sexuel avec ce partenaire tant souhaité. Cet homme qui pourra répondre aux désirs de son corps pas machinalement mais avec beaucoup de sensualité et de sens artistique :

Un bel homme dans l’esprit et le corps

A chaque fois que l’on finit cela, je veux qu’il me mouille encore

Un thug qui sait comment traiter une reine

Un bad boy éduqué qui peut créer de bonnes scènes

Qui me donne du plaisir à l’infini

Pour me rendre folle, je te fais crédit

Fais beaucoup de poésie

Je ne veux pas que tu sois lazy, enlève mon désir

Laisse-moi prendre soin de toi avec cœur, je veux que tu me fasses délirer

Je veux que tu sois acteur et qu’on fasse des films day by day

Elle décrit, dans cette œuvre, la sexualité comme une chose ordinaire, un sujet quotidien et met l’accent sur le corps de la femme. Ce corps qui, selon elle, a des besoins et exprime un langage qui n’est pas compris de tous. Elle peint la réalité de la société en mettant des mots sur le silence des femmes, sur leur corp et leur sexualité.

Un nasty qui comprend le langage de mon corps

Qui n’a pas d’idées tabou de la façon dont on fuck

Des fessés et des positions de levrettes

Des positions de la pieuvre

Cette chanson peut être compris également comme une redéfinition des rapports à la sexualité, des endroits sensés convenir à l’acte sexuel (sur le lit, dans l’intimité de la chambre), et également de la hiérarchie dans les rapports de sexe, la construction sociale des corps dans les rapports, « le mouvement vers le haut étant par exemple associé au masculin, avec l’érection, ou la position supérieure de l’acte sexuel » (Bourdieu, 1998 :20). Ce désir de repositionnement des corps durant l’acte sexuel peut témoigner d’une sorte de liberté des femmes sur leur corps ainsi que d’une manifestation de l’égalité entre les sexes.

La jouissance de la femme a toujours été un sujet tabou dans la société haïtienne, parler de ses désirs n’est pas convenable d’une dame. Les femmes ont toujours tu leurs désirs même dans les relations intimes avec leur partenaire parce que la femme est socialement construite pour plaire à l’homme. L’écrivaine Xavière Gauthier parle de la jouissance de la femme comme une puissance réprimée par le système patriarcal. Dans le premier numéro de sa revue sorcière, elle s’exprime en ces termes :

Le Malleus Maleficarum, réquisitoire contre la sorcellerie, dit : « Toute la sorcellerie vient de la concupiscence charnelle qui, chez la femme, est insatiable. » Et même Freud-le-Père a l’intelligence de reconnaître que la sensualité de la jeune fille est autrement plus grande que celle du garçon, puisque l’éducation a pour tâche de la réprimer avec une si particulière rigueur. Sa sensualité, donc sa curiosité sexuelle, donc son désir de savoir, de penser.

Tremblement de terre, éruption volcanique, raz de marée, la jouissance de la femme fait peur. Elle inquiète et on la mystifie. On en fait un mystère. On a dit que les sorcières détenaient un pouvoir magique. En fait, il était sexuel. Alors, ce n’était pas un pouvoir, mais des pouvoirs, ou plutôt, des puissances. Des forces qui traversent la femme, qui circulent à travers elle et qui ne viennent pas de quelque Satan (= Dieu), mais de l’inconscient, mais du corps. Puissances du corps (Gauthier, 1975, p. 4).

Si l’on considère les jouissances de la femme comme des pouvoirs, l’interprétation de cette chanson peut également être considérée comme une libération du pouvoir des corps. Une interprétation qui peut être inscrite dans un processus de prise de contrôle sur la relation avec le corps, sur la liberté d’une sensualité qui a toujours été réprimée par la société. Et aussi, une réappropriation de son corps permettant à la femme de parler ouvertement de sa sexualité.

Elle peut être aussi comprise comme une nouvelle façon de comprendre ce que la société a toujours établi comme normes. Cette attitude de la femme à taire ses désirs relève directement de l’ordre établi par le système patriarcal voulant que les femmes soit rangée. Gauthier à ce propos avance ce qui suit :

On a voulu nous faire croire que les femmes étaient frigides, prudes, chastes. C’est seulement parce qu’on voulait les forcer à jouir droit, selon le modèle masculin, dans les limites masculines. En réalité, elles éclatent, leur corps entier est désir, leurs gestes sont caresses, leur odorat, leur goût, leur écoute sont sensuels. Leur jouissance est si violente, si transgressante, si ouverte, si mortelle que les hommes n’en sont pas encore revenus (Gauthier, 1975, p. 4).

Le contenu de cette chanson porte un discours qui montre que la femme a le droit de jouir. Elle a le droit de mettre des mots sur ses désirs et d’exprimer ouvertement ce qu’elle aime.

Ludia Exantus

Bibliographie

Bourdieu, P. (1998). La domination masculine. Seuil.

Foucault, M. (1976). Histoire de la sexualité : Tome 1, La volonté de savoir. Gallimard.

Gauthier, X. (1975). Pourquoi Sorcières ? Une revue. Le Quotidien des femmes, 8(1), 16‑16.

Tessier, K. (2008). Influence de la culture hip-hop québécoise sur les adolescents montréalais d’origine haïtienne. [Mémoire de maitrise] : université du Québec à Montréal 

Discographie

Kemberlee. (2023). Nasty luv. [Chanson] page officiel YouTube.


[1] Le griot est un plat de la cuisine haïtienne. Ce sont des morceaux de viande de porc marinés, braisés, puis frits. Généralement accompagné de banane frites.


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