Enterrée vive

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J’étais aveugle, tout était sombre, ça sentait le renfermé et misère des misères je manquais de souffle. J’avais à chaque seconde l’impression de mourir un peu plus. Comme un homme en pleine noyade, je m’efforcais à attraper avidement la prochaine gorgée d’air avec la sensation de précipiter ma fin. Je mourais, le pire étant de savoir cela sans pouvoir y remédier. Je ne sentais même plus mon corps, obnubilé par le besoin incessant de faire fonctionner normalement mes poumons. J’étais à vrai dire engourdi et sans doute en sang puisqu’à mon réveil j’ai dû lutter autrement. Quelques minutes plus tôt j’avais mal ailleurs, mes doigts ensanglantés désormais sans ongles me donnaient l’impression d’être à l’agonie, ma tête me faisait mal à force de paniquer et ma gorge à vif ne produisait plus de son à force d’être sollicité à hurler. Pourtant, la douleur physique ne m’importe plus, pour ne pas dire que je ne sens plus mon corps je dirai qu’elle n’est simplement pas à la hauteur de cette sensation de ne plus avoir d’air. Pourquoi ce corps, sujet de fierté pour les uns et de mépris pour d’autres n’a pas plus de pouvoir face à l’oxygène que l’on ne voit même pas. Si je pouvais encore réfléchir aux questions existentielles, je serais à coup sûr en train de poser des théories toutes plus improbables les unes que les autres comme solution à long terme à ce problème de l’humanité. Mais hélas, je ne peux qu’essayer encore et encore de respirer.

La bouche désormais ouverte, j’ai plus la sensation de donner que de recevoir. Mes poumons se vident, mon cœur semble vouloir gagner la course contre le temps et ma tête devient de plus en plus lourde. Où suis-je ?

Je ne sais pas, ou peut-être que je ne sais plus, je ne me souviens pas. Je ne me souviens pas de ce que j’ai fait avant de me réveiller ici. Je ne sais même plus qui j’étais plus tôt. Je me contente de me battre avec la mort dans le noir. Sommes-nous le matin ou le soir ?

Pas que cela m’importe vraiment, car c’est certain que ce sont mes derniers moments sur terre. Il fait sombre de toute façon et je ne m’affole même plus d’être aveugle, je me serais contenter de savoir encore respirer. Où suis-je ?

Où suis-je ? Où suis-je ?

Tap tap tap

Un son...

J’ai l’impression que c’était déjà là avant mais tout était trop bruyant et effrayant alors pour que j’y prête attention. Ce n’est plus douloureux, ce n’est même plus effrayant. J’ai l’impression d’être tout à fait engourdie et bien enveloppée dans un profond brouillard. C’est doux finalement la mort, je n’ai plus mal, je ne pense même plus à respirer. J’attends simplement de passer l’âme à gauche et pour le moment je suis calme. Plus calme que je ne l’ai jamais été de toute ma vie. Je n’ai plus aucun problème, plus de peine, ni de peur. J’ai l’impression de vivre réellement pour la première fois, pourtant, sans aucune naïveté j’ai conscience que c’est la fin.

Témoignage d’une victime

Cinq minutes plus tôt

Je m’appelle Maxime Érika Legagneur et ma première erreur fut d’être née fille. Depuis trois générations au moins, les Legagneur ont fait honneur à leur titre en marquant tour à tour les mémoires et les archives. Dans ma branche familiale, ils n’ont donné naissance qu’à des garçons. Arrogante, je fus celle qui dérogea à la règle en oubliant personnellement de naître dans le corps d’un homme. Je ne fais pas d’humour, c’est plus du domaine du drame car depuis que je sais comprendre les autres, j’ai toujours su que je suis une déception pour beaucoup. Heureusement que mon père, Ulysse Legagneur, était de la graine de rebelle; en bon perturbateur il fut heureux d’avoir, grâce au fruit de ses reins, mis la pagaille dans notre petit monde.

En bonne petite fille, j’ai eu à choisir entre le bon et le moins bon, et heureusement pour mon père et pour moi-même ma loyauté partait du côté du petit nombre. Alors que les autres souhaitaient me voir gagner en bonne fille de grande famille, c’est-à-dire en appliquant tout ce que le monde pourrait attendre d’une soumise bien élevée, j’ai suivi mes parents et par la même occasion me suis mise à dos la crème de la crème des Legagneur. N’allez pas croire que je ne suis que la fille de mon père, ce dernier avait en bon délinquant choisi une aventurière comme épouse et même si elle n’a jamais accepté de porter son nom, je ne saurais être un plus parfait mélange de Laïssa Jouvie, artiste, et d’Ulysse Legagneur, psychiatre de renom.

Ce choix de poursuivre des études universitaires fut l’une de mes plus grandes erreurs et mon crime, en plus de me valoir une coupure nette d’avec le reste de la famille, m’amena maintes déboires et une promesse de mort. Mais même en enfer, je vous le dis mesdames, ce que j’appelle erreur demeure ma plus grande fierté et si c’était à refaire, je choisirai cette voie mille fois et souffrirai encore et encore de la piqûre du feu que me réserve les hommes.

La deuxième semaine du mois d’août, un garçon de plus rejoignit la première année de médecine. Son nom était Maxime Legagneur et cela n’étonna personne car depuis longtemps on acceptait de cette famille de génie une passion sans bornes des grandes et longues études. Ce qu’ils ignoraient tous, c’était qu’aucun pénis ne se cachait sous ses chausses et que l’unique fille Legagneur avait elle aussi le virus du savant. Vous avez compris j’espère que Maxime n’était autre que moi, de mon vraie nom, Maxime Érika Legagneur qui avec l’aide d’une mère trop avancée pour son époque et d’un père adepte de tragédie et d’héroïsme avait appris à se grimer pour se fondre dans la masse. Les études en sciences de la santé bien entamées, je fis la rencontre de David Solis, un garçon solitaire et plus soucieux de sa dernière tenue acquise que de respirer. Même au travers d’un mensonge, notre relation fut aussi fusionnelle que nos caractères opposés. Cela aurait pu rester là, j’aurais dû obtenir mon doctorat et attendre avant d’apprendre mon secret au monde entier. Mais, en 4ème année, je fis la rencontre d’ Arthur Solis, le jeune frère de David, un homme délicieux et un artiste. J’attrapai au fil des semaines la maladie qui touche la plupart des gens au cours de leur vie et je tombai amoureuse du charlatan. Jettant alors aux orties la prudence, je me présentai réellement et le lundi suivant, j’allais à l’école avec les cheveux au vent et des vêtements plus seyants. Petite idiote amoureuse, je me sentais prête. Me cacher était devenu un acte de lâcheté à mes yeux et j’ai oublié que mon monde nous considérait encore, nous les femmes, comme des pondeuses et des esclaves de maisons.

Maintenant encore je me demande pourquoi je ne suis pas tombée amoureuse de David, c’était un ange et un amoureux du monde. Son plus grand défaut était de trop aimé dépensé dans ses vêtements, mais nous avons tous nos petits travers et pour moi c’était de vouloir être moi-même. Arthur était de deux ans mon cadet et s’il préférait la vie d’artiste, le crime et les vices inspiraient grandement ses œuvres, mais cela je l’ignorais. Peu de temps après avoir dévoilé mon grand secret, alors que le monde oscillait entre admiration craintive pour mon audace et dédain prononcé, David demeurait mon ami et Arthur se mit à me faire la cour.

Moins d’un an plus tard, au fond de mon cercueil, enterrée vivante, plus proche de la mort, je compris combien le monde était intolérant. Comment les hommes cachaient leurs crimes sous des prêches aux allures de vérités et comment nous les femmes nous avons à souffrir pour notre droit d’être humain. Je me souviens des derniers mots de mon jeune fiancé : je rends service au monde en éliminant une telle abomination, une femme qui veut se faire l’égale des hommes. Tu n’as pas assez de conscience pour suivre ce parcours, tu n’es qu’une femme après tout, un singe en robe, légèrement plus évolué pour t’occuper avec dévotion des biens et du bien-être d’un homme.

Au porte de la mort, je sais que ce ne sont que les paroles d’un fou, mais ce n’est pas loin de la pensée de la majorité du monde. Cela a servi à justifier le crime d’un homme et même en connaissant parfaitement ma vérité, je ne peux m’empêcher d’être un peu meurtri d’avoir perdu ma vie pour la peur d’un homme à voir une femme s’élever intellectuellement. Car je ne suis ni trop aveugle, ni trop naïve pour comprendre que la haine et la méchanceté gratuite sont le fruit de la peur. Et mes dernières questions pour l’humanité sont : pourquoi avez-vous peur des femmes pour faire autant barrière à leur humanité ? L’humain est fait pour se tenir sur la même terre, pourquoi donc une femme doit adopter le fossé, quand un homme se sert de marchepied ?

Nancy Joazard


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