Josette Bruffaerts-Thomas et son combat pour l’utilisation des technologies numériques dans lemilieu scolaire

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Depuis bientôt 14 ans, l’organisation Haïti Futur travaille pour redorer le blason de l’éducation
en Haiti, notamment grâce à l’utilisation des technologies numériques. Néanmoins avec la
recrudescence de l’insécurité dans le pays, sa présidente
Josette Bruffaerts-Thomas affirme mettre le cap ailleurs, vers d’autres pays qui sont plus
intéressés et aptes à recevoir le programme tels que la Gambie, le Bénin, la Côte-
d’Ivoire… Nous allons à la rencontre de cette enseignante de carrière autour des différents
projets de cette association et des défis qu’elle fait face.

Shylene Prempin: Depuis plus de dix ans, suite au séisme, vous vous êtes donnée corps et
âme dans l’installation du système TNI dans les régions reculées du pays. Pouvez-vous nous
parler dans les grandes lignes de ce format, qu’est le TNI?

Josette Bruffaerts-Thomas:Le TNI (Tableau Blanc Interactif) est un système qui permet de
projeter les cours numériques sur une surface lisse (tableau blanc, mur…) à l’aide d’un
vidéoprojecteur interactif et ainsi agir avec un stylet pour faire les différentes actions utiles pour
enseigner grâce à la technologie contenue dans le vidéoprojecteur.
On peut surligner, faire des formes, colorier, faire glisser des fichiers, grossir une portion
d’image, garder en mémoire tout ce qu’on écrit ou dessine au tableau.
Les cours sont plus ludiques et la pédagogie de l’enseignant.e s’en trouve transformée. La
majorité des enseignant.es utilisant le TNI constatent une augmentation de la motivation des
élèves. L’enseignant.e peut mieux s’organiser et gagner du temps. Les élèves sont plus
concentré.es. C’est un système qui peut améliorer la collaboration et l’entraide entre les
enfants.
S.P: Quels sont les avantages d’un tel système d’apprentissage ? Et ses limites ?
J.B.T: C’est un système qui révolutionne la façon d’apprendre en remplaçant notre système
archaïque basé sur le “parcœurisme” et le “rabachage” sans comprendre, par une pédagogie
active où élèves et enseignant.es interagissent sur les leçons à apprendre.
Outre que le TNI remplace le tableau noir pour écrire, ce système est d’un grand apport
pédagogique pour l’apprentissage: il suscite l’intérêt des élèves et facilite l’enseignement.
Les avantages du système d’apprentissage basé sur le numérique :

Un système qui privilégie la réflexion, l’observation, la compréhension.
Un système qui palie au manque de laboratoires, de matériels pédagogiques et d’ouvrages
scolaires de qualité dans les écoles haitiennes.
Un système qui facilite l’apprentissage et qui est à la portée de toutes les formes d’intelligence :
visuelle, auditive, kinésthésique.
L’apprentissage crée une dynamique pour mieux captiver l’attention des élèves.
C’est un système qui facilite la lecture et l’écriture : on peut zoomer les passages à lire, écouter
des sons, visionner une vidéo, dessiner…
Il permet de mieux comprendre des concepts scientifiques grâce aux différents outils
disponibles pour faire des démonstrations et visualiser les résultats à partir de schémas et
d’observation de vidéos.
Il permet également de stocker les ressources ou le travail réalisé sans avoir à les redessiner
avec la craie, ce qui dégage du temps pour l’enseignant.e pour se consacrer à son travail de
pédagogue. Le gain de temps permet de se concentrer sur l’essentiel : enseigner.
Il permet de centraliser divers medias en un seul outil : les élèves apprennent avec les outils
modernes de leur génération et ne seront pas en retard sur le reste du monde.
C’est un outil qui peut permettre de réduire le nombre d’années scolaires pour les enfants
suragés, car les cours numériques disponibles et accompagnés du guide pour l’enseignant.e
facilitent la vitesse d’apprentissage des matières.
Ce système permet également aux enfants en situation d’handicap d’avoir de meilleures
possibilités d’apprentissage.
Dans la situation d’Haïti où 85% des enseignant.es ne sont pas formé.es à la pédagogie, ce
système permet également une formation de/la l’enseignant.e tout au long de l’année, grâce
aux guides de l’enseignant.e, à l’accompagnement continue et aux formations dispensées par
les équipes d’Haiti Futur.
Les critiques :
Ce système a un coût de départ mais qui s’amortit vite avec le temps et les économies qu’il
procure:
Il faut disposer de l’électricité pour faire fonctionner le matériel.
Il faut former les enseignant.es à la maîtrise des outils techniques, pédagogiques et
académiques (connaissance des matières à enseigner).
Il faut assurer un suivi et une maintenance/réparation des équipements.
Il faut concevoir et fabriquer les cours de qualité avec des équipes compétentes.

S.P: Le système éducatif en Haïti continue sa décadence, quelle votre satisfaction par rapport
aux précédents travaux de Haïti Futur ?
J.B.T: C’est le cas de le dire : le système éducatif haïtien continue sa décadence alors que des
solutions existent pour rebondir. Les décisions sont prises sans tenir compte des modèles qui
fonctionnent.
Notre satisfaction est que beaucoup de responsables d’écoles en Haiti, des enseignant.es et
des élèves ont bien accueilli le programme. Des pays étrangers s’y intéressent. Nous avons
récemment effectué une mission en Gambie et sommes sur le point de signer un accord de
coopération pour adopter le programme.
Ce qui démontre qu’Haïti est capable d’ouvrir la voie à une innovation pédagogique sans être
capable d’en faire bénéficier ses propres enfants.
S.P: Comment évaluez-vous ce qu’il reste à faire ?
J.B.T: Le programme a eu une évaluation externe positive de ses 10 ans de pratique dans les
écoles. Cette évaluation a été faite sur la demande de l’AFD(Agence Française de
Développement) à une agence canadienne. Le programme d’Haïti Futur a satisfait positivement
aux 4 critères de l’évaluation: efficacité, efficience, pertinence et durabilité.
Il revient maintenant à l’Etat haïtien, à travers son Ministère de l’éducation, de le mettre à
l’échelle suite à cette expérimentation réussie sur le terrain.
Nous avons terminé la conception/fabrication des cours pour les 4 premières années de l’école
fondamentale et les maths pour les 6 années. Il nous reste à trouver des financements pour
compléter les cours des 2 dernières classes afin d’avoir tout le programme des classes
primaires.
Plus d’un million de dollars américains ont été dépensés pour fabriquer ces cours. Il nous
manque 400 000 dollars pour terminer les deux premiers cycles de l’école fondamentale (6
classes du primaire).
Il reste à continuer l’électrification solaire des écoles, à former les enseignant.es…
S.P: Le TNI est-il toujours fonctionnel dans les écoles dans les régions rurales et urbaines ?
Comment faites vous pour avoir un regard de contrôle suite à l’installation ?
J.B.T: Plusieurs catastrophes naturelles notamment l’ouragan Matthew en 2016 et le séisme de
2021 ont affecté la poursuite normale du programme dans les départements du Grand Sud.

Dans le département de l’Ouest, l’insécurité et les dommages causés par les gangs armés ont
empêché l’accès des élèves à de nombreuses écoles. Certaines écoles sont occupées par des
gangs qui y ont pillé et détruit le matériel et le mobilier.
Dans certaines autres zones, les écoles publiques sont abandonnées par le Ministère qui ne se
soucient pas d’installer le matériel en dépôt dans ses locaux pour les écoles déjà électrifiées ou
de faire réparer le matériel pour permettre au programme de fonctionner.
Néanmoins nous avons une équipe de 15 jeunes professionnels compétents et dévoués qui
suivent les écoles dans 6 départements du pays.
S.P: Bien avant le TNI, quels étaient les domaines d’intervention de Haïti Futur ? Haïti Futur
organise t-elle d’autres activités parallèles? Si oui, que sont-elles?
J.B.T: A côté de l’éducation, Haïti Futur intervient dans 2 autres domaines : l’entreprenariat et la
promotion de la culture haitienne en Haïti et à l’étranger à travers des expositions-ventes, d’un
salon annuel du livre haitien à Paris et le soutien aux artistes et artisans.
S.P: Quelles sont maintenant les attentes d’ Haïti Futur pour un meilleur système éducatif
haïtien? Et les projets en cours ?
J.B.T: En l’absence d’un gouvernement reconnu et responsable, il n’est pas possible de faire
entrer l’éducation de qualité comme une priorité pour le pays. Il faudrait que la société civile et
les organisations internationales se mobilisent pour faire pression pour une éducation de qualité
pour tous les enfants. Au 21ème siècle, Haïti demeure l’un des pays avec le plus grand taux
d’analphabétisme au monde. C’est une honte pour nous toutes et tous d’assister à cette
descente aux enfers.
Les projets en cours :
Notre équipe de recherche travaille sur un nouveau logiciel qui va faciliter davantage l’accès
aux cours que nous avons développés. Les cours seront désormais disponibles sur tous les
supports (téléphones, tablettes…) sans avoir besoin de passer par un logiciel spécifique.
S.P: Comment comprenez-vous l’impact de l’insécurité sur le système éducatif haïtien avec le
dysfonctionnement de plusieurs écoles dans des zones dites de non droit?
J.B.T: Les enfants et les jeunes subissent une déscolarisation alarmante qui s’ajoute au piètre
palmarès de notre système d’éducation tant en terme d’accès que de qualité.
Ceux qui parviennent encore à accéder aux salles de classes subissent le stress provoqué par
la situation d’insécurité et les menaces des gangs.

Un modèle désolant pour les enfants s’installe dans le pays : ce n’est pas le travail, l’effort pour
apprendre et le mérite qui payent mais le gangstérisme. Les gangs recrutent de force des
jeunes en les droguant pour les enrôler dans leurs équipes de bandits.
S.P: Si vous voulez ajouter quelque chose d’autre, au plaisir ?
J.B.T: Le vœu qu’un jour, nous aurons enfin un Etat capable de se pencher sérieusement sur la
mise en place d’un système d’éducation de qualité pour tous les enfants à travers tout le pays.

Propos recueillis par Shylene Prempin


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