Enclavée?

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Depuis plusieurs semaines, à la suite de la mise en œuvre du programme « Humanitarian Parole » par l’administration Biden, l’avenue John Brown se transforme en un spectacle d’embouteillage hors pair. On constate une foule grandissante en effervescence auprès de la Direction d’Immigration et Émigration (DGI) en attente du document officiel de voyage. Des centaines de citoyens et citoyennes passent des journées et même des nuits à la belle étoile sur la cour ou sur le trottoir de l’établissement en espérant le bout de papier qui les amène à la terre promise. Ils et elles sont prêt-e-s à payer le triple du prix normal pour avoir droit à un passeport, le document qui leur donne droit à d’application au programme « Humanitarian Parole » par leurs proches.

Prendre l’avion et surtout pour se rendre aux États-Unis, -représentation de soulagement, de paradis- c’est le but commun qui motive désormais cette population. À quiconque aurait voulu les dissuader de cette poursuite, ils trouveraient toutes les raisons prouvant que partir du pays demeure le choix idéal et qu’ils doivent profiter de cette « opportunité ». En effet, assassinats, pillage, viols, enlèvement et séquestration d’individus sont les faits marquants de ces dernières années en Haïti. Précisément à Port-au-Prince où l’insécurité bat son plein, la peur est devenue un sentiment qui nous habite en permanence.

Dans les rues, la plupart des riverains sont terrifiés par le moindre bruit d’un ballon, voire un pneu éclaté. Nous avons horriblement peur, même notre ombre nous effraie. Le soleil n’est pas encore globalement englouti par l’horizon que déjà nous sommes pressés.

On doit rentrer et surtout rentrer en vie. Ici, la mort ne fait pas que nous suivre, elle nous assaille. Même chez nous on peut la surprendre en train d’endeuiller notre famille par une balle perdue. Mais on est quand même pressé de rentrer. On se persuade que dehors le risque est plus élevé. On n’a plus le temps de se saluer, de se serrer la main, de prendre des nouvelles des autres. La mort, dans tout ce qu’on côtoie elle s’impose. Dans cette ville enclavée, le danger peut se trouver n’importe où, vous attraper par surprise,  vous fatiguer dans ses derniers retranchements.

Enclavée ? Oui, Port-au-Prince, autrefois la capitale où les campagnardes de tous les coins du pays venaient étaler leurs récoltes, est devenue cette ville d’où on ne sort pas. Un engrenage. Une sorte de forteresse protégée par des bandes armées. Super protégée. Au Nord et au Sud, on ne peut ni entrer ni sortir sans les affronter. Par l’argent ou par le sang. Pas de négociation mais d’exécution. On se plie. On se plaint. On fait silence. C’est la période carnavalesque mais plus de Jacmel touristique. Dans cette situation où le moindre effort de la population ne peut tendre que vers la survie, la notion de loisir devient inconcevable. Chacun se demande où est passé l’État  dans tout ce brouhaha. Il est présent bien sûr. Il se manifeste par le bruit des sirènes, par la colère des chauffeurs de camionnettes qui doivent libérer la route à ce cortège obligatoirement pressé. Pressé mais surtout pas pour la même raison que nous. En fait, la peur dont nous souffrons, semble épargner le Gouvernement.

Fernide René


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