La création de la CONAP: moment fort du mouvement feministe haitien

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Ce texte discute d’un moment clé dans l’institutionnalisation du mouvement
féministe en Haïti, en présentant une réflexion sur la Coordination Nationale de
Plaidoyer pour les droits des femmes (CONAP). Elle est une coalition composée
d’organisations féministes et féminines ; son objectif était la transformation des
rapports de sexe dans l’intérêt des femmes et de la population haïtienne . Ces membres
ont lutté de manière à ce que les besoins spécifiques des femmes soient traités en enjeu
politique dans les institutions nationales. Par conséquent, l’émergence de la CONAP a
favorisé l’intégration de revendications des femmes « dans les pratiques et les discours
d’institutions » (Blanchard, Jacquemart et al, 2018).


Partant de là, ce texte décrit le contexte d’émergence de la CONAP, ses
composantes, ses combats notoires et ses gains. Des discussions informelles conduites
avec des membres de ses organisations affiliées dont, Danièle Magloire, Lise Marie
Déjean ainsi que la lecture du document: Pour la cause des femmes avançons, publié en 2008 nous ont fournies les informations amenées dans ce papier.

La CONAP fut créée dans le contexte post dictatorial qui est marqué par
plusieurs événements : la manifestation du 3 avril 1986 de trente mille femmes (30.000)
qui avaient réclamé la participation des femmes dans la gestion de la chose publique, le massacre de la ruelle Vaillant en novembre 1987, l’accession de Manigat au pouvoir le 6 février 1988, son éviction en juin 1988, la chute de Prosper Avril en 1990, l’arrivée d’Ertha Pascal Trouillot au pouvoir organisant les élections de 1990 qui portent Jean Bertrand Aristide au pouvoir, le coup d’État l’ayant évincé le 30 septembre 1991, les exactions des militaires putschistes et son retour avec les Etats-Unis en 1994,
favorisant le retour à l’ordre constitutionnel.
Depuis la manifestation du 3 avril 1986 3 , marquant le renouveau du mouvement
féministe en Haïti après la dictature, les féministes n’ont cessé de se revendiquer en
tant qu’interlocutrices sur la scène politique nationale. Après cette date, plusieurs
organisations féministes ont vu le jour dont : SOFA, CPFO, Fanm Deside, AFASDA,
FAVILEK. Celles-ci ont travaillé de manière acharnée pour construire une action
militante autonome dont la vocation était double : réfléchir sur les questions qui
concernaient les femmes ; et penser le collectif. Sous l’impulsion de ces organisations, la cause des femmes commençait à être discutée dans des instances qui auparavant s’y
désintéressaient. Par exemple, la question des femmes était discutée en conseil des
ministres, qui est le plus haut espace de prise de décision nationale.

En février 1988, le président Leslie François Manigat fera la première tentative
pour installer une secrétairerie d’Etat à la condition féminine en Haïti. Carmen Désilaire fut nommée pour le poste. La structure ne survivra pas après l’éviction du président Manigat du pouvoir en juin 1988. Période de grande instabilité politique, la décennie 1990 a débuté avec la démission de Prosper Avril en mars 1990 et l’arrivée d’Ertha Pascale Trouillot, une femme, juge à la Cour de cassation à la magistrature suprême. La présidente Trouillot avait organisé les élections du 16 décembre 1990 qui avait porté Jean Bertrand Aristide au pouvoir le 7 février 1991.

Selon Suzy Castor (1994) les femmes, représentaient 52% des 67% de la
population nationale qui avaient voté au cours de ces élections. Pourtant, elles étaient 8 % parmi les candidats trois (3) d’entre elles furent élues au Sénat et treize (13) à la
chambre des députés. Parmi les onze (11) candidats brigand la présidence, on
dénombrait une femme : Marie Colette Jacques qui fut exclue du processus par la suite.

Le cabinet du président Aristide comptait quatre (4) femmes : Marie Michelle Rey
aux Finances, Denise Fabien aux Affaires Étrangères, Myrtho Célestin-Saurel aux
Affaires Sociales et Marie Laurence Jocelyn-Lassègue était responsable de la
communication du gouvernement. Les premières interventions des femmes sur la scène nationale n’étaient pas étrangères à ces décisions. Toutefois, le 8 mars 1991, la SOFA avait lancé une manifestation ou, elle réclamait la création d’un ministère à la condition féminine. Cette idée fut accueillie de manière favorable par le nouveau gouvernement, mais survient le coup d’Etat de 1991. Entre les années 1990 et 2000, en dépit des bouleversements politiques notoires qui ont jalonné la vie nationale, les organisations féministes ont pris l’habitude de mener des actions concertées en vue d’impulser de nouvelles dynamiques entre l’Etat et le reste de la société.

En 1993, plusieurs organisations féministes et féminines se sont concertées pour
réaliser la première rencontre nationale contre les violences faites aux femmes, en
démontrant la nécessité de porter une réponse aux exactions de l’armée contre la
population civile, notamment les femmes dans le contexte du 30 septembre 1991, avant le retour à l’’ordre constitutionnel. Cette action est considérée comme étant la première. qui va conduire à la création de la CONAP (CONAP, 2008). Pour réaliser cette activité, un sera créé un comité ad hoc qui est composé de deux organisations Kay Fanm et Enfofanm et de trois militantes féministes. Ce sont mesdames Danièle Magloire, Myriam Merlet et Roxane Auguste. Dans un premier temps ce comité avait pour mandat de dénoncer les viols que subissaient les femmes pendant la période. Dans la foulée se mettront en place les services d’accompagnement des femmes violentées dans le pays. Les membres du comité ont élargi les discussions à toutes les formes de violences que subissent les femmes du fait de leur genre tant dans l’espace privé que dans l’espace public et politique. Cette rencontre fut aussi l’’occasion de discuter de l’orientation du mouvement féministe haïtien, de ses stratégies de luttes et la manière dont les besoins spécifiques des femmes doivent s’articuler avec les problèmes de la société dans leur
globalité.


Ces expériences ont été prises en compte en 1994 au moment par le gouvernement
du président Aristide qui créa lors du retour à l’ordre constitutionnel le Ministère à la
condition féminine et aux droits des femmes, le 8 novembre 1994. Depuis la création de
ce ministère, les organisations féministes ont poursuivi avec leur habitude de se
rencontrer en vue de poser des actions concertées. En 2000, cinquante-trois (53)
organisations de femmes se sont réunies dans le cadre de la Marche Mondiale des
femmes, sous l’initiative de la SOFA. A partir de cette rencontre un cahier national de
revendications des femmes fut élaboré avec des recommandations contre l’impunité et
l’insécurité. Les organisations féministes et féminines ont engagé leur démarche de
systématisation de leurs rencontre. En octobre 2002 onze d’entre elles ont constitué
une structure collégiale sur base de consensus . Ce sera la CONAP un espace pluriel de
solidarité entre organisations féministes et de femmes. Elles ont acquis la force de
négociation et de plaidoyer pour proposer des politiques publiques en vue d’améliorer la condition et les situations des femmes haïtiennes. Les onze organisations sont Kay Fanm, Solidarite Fanm Ayisyèn (SOFA), Fanm Yo La, Fanm Deside, Kòdinasyon Fanm Sidès, RAFAVAB (Ransambleman Fanm Vanyan Belè), Gwoupman Fanm Vanyan Pestèl, Koumbit Fanm Twou Di NO (KOFAT), Caritas Diocésiane de Fort-Liberté (Section Femmes),
AFASDA (Asosiyasyon Fanm Solèy d Ayiti. Elles ont alors constitué une force de
négociation et de plaidoyer qui propose des politiques publiques visant l’amélioration de
la condition des femmes haïtiennes. Chaque organisation membre apporte son soutien à
la CONAP et fonctionne tout en préservant son autonomie.

La CONAP entendait proposer un modèle d’organisation à même de projeter un leadership collectif et avant gardiste dont les stratégies pour la transformation des rapports de sexe en Haïti dans l’intérêt des femmes et de la société. En s’appuyant sur ces objectifs, la CONAP a adopté de quatre moyens d’actions : plaidoyer, concertation,
sensibilisation et mobilisation. Fer de lance dans la définition des combats pratiques et
stratégiques des femmes, elle a mené dans la vie nationale des luttes notoires qui sont à
la fois d’ordre structurel et conjoncturel.

Sur le plan conjoncturel, en novembre 2002 la CONAP a pris position contre le
dérives institutionnelles du gouvernement d’Aristide, qu’elle avait déclaré hors la loi.
Dans la foulée, la CONAP fit une note contre les violences arbitraires, l’insécurité et le
non-respect de la vie qui ne cessait de s’amplifier. Elle organisa un sit-in devant le palais de justice de Port-au-Prince pour acter le fait que le pays est dirigé par un
gouvernement de scélérats. Les militantes furent poursuivies et certaines ont dû
prendre le maquis pour avoir la vie sauve. Entre 2002 et 2004, la structure a pris le parti de cesser les plaidoyers auprès de l’Etat. Elle avait lancé une série de mobilisation
afin de dénoncer les brutalités des chimères (para militaires à la solde du gouvernement
d’’Aristide) qui violentaient les femmes. A ce moment, Rèl Fanm (cri des femmes ) était
le cri de ralliement de la CONAP.

L’organisation avait mobilisé la solidarité régionale contre les atrocités gouvernementales, tout en organisation des manifestations, sit-in et marches dans des
points de ralliement associés aux luttes des femmes en Haïti : la place Catherine Flon.
Au sein du regroupement, les organisations membres avaient soutenu de manière active
Viola Robert dont la vie fut menacée après l’assassinat de ses trois fils par des policiers
couvert par le pouvoir. Après l’assassinat de décembre 2002, la CONAP a pris position
contre le meurtre de Danièle Dustin une militante féministe. Elles ont pris aussi le parti de dénoncer l’attaque perpétrée par les sbires du pouvoir contre les étudiant-e-s en 2003.Dès cette période la CONAP s’est illustrée pour dénoncer le régime illégal au sein du réseau démocratique populaire.

En 2004, la CONAP a intégré le processus de transition, bien qu’elle avait dénoncé
la présence de la Mission des nations unies pour la stabilisation en Haiti (MINUSTAH)
en tant que force d’occupation. En 2005 elle avait tenu sa première assemblée générale.
Au ce moment, le nombre d’organisations composant la structure était passé à quinze.
Elle a lutté contre les viols des soldats de la MINUSTAH et les mépris de ces occupants
contre les habitants des quartiers populaires en Haiti.

Entre 2005 et 2010, elle s’est dotée de statuts et de règlements internes. Durant
cette période elle a gagné le procès d’un viol collectif d’une fille et de sa mère. Dossier
emblématique ces deux victimes ont eu gain de cause. Ce fut l’une des premières
victoires contre l’impunité et les violences faites aux femmes après la période du coup
d’Etat. Elle a participé aux réflexions qui ont conduit à la mise en place de l’Office de
protection des citoyens (OPC) en tant qu’organe garant des droits des citoyens et des citoyennes face à l’arbitraire des agents de l’Etat et aux violations des droits humains. La CONAP fut aussi le fer de lance de la bataille du quota exigeant la présence d’au moins 30% des femmes dans les espaces et parmi les décideurs décisionnels.

Entre 2005 et 2008, sur le plan structurel, elle a élaboré un plan d’action et une
stratégie de plaidoyers auprès du Parlement, des ministères et des autres instances
publiques, en vue de faire voter une loi réprimant les agressions sexuelles. En effet, avec le décret de juillet 2005 le viol est devenu un crime passible de plus de dix ans
d’emprisonnement en Haïti. Cette prise de parole vigoureuse s’étend à la lutte contre
l’impunité sous toutes ses formes. Cette prise de parole vigoureuse s’étend à la lutte
contre l’impunité.


Elle a de plus plaidé pour amender certains articles du Code Pénal tout en menant des
actions de sensibilisation aux droits des femmes pour ses membres. Outre ces actions, elle a mené des luttes visant la dépénalisation de l’avortement. Le plaidoyer devient une forme d’action politique collective. Dans cette démarche, elle considère le plaidoyer comme une forme d’action politique collective. Dans cette même veine, elle avait lancé des initiatives pour solliciter la solidarité internationale des organisations de droits humains afin de
dénoncer les exactions que le gouvernement d’Aristide se mettait à commettre contre la
population civile.


Durant cette période sur un plan structurel la CONAP a lancé un ensemble d’actions
allant dans le sens de la consolidation des institutions en Haïti en misant sur la
transversalité des rapports entre les sexe. Par exemple, elle a soutenu la mise en place de la concertation nationale qui est la principale structure qui va lutter pour la définition de deux politiques publiques : le plan national de lutte contre les violences faites aux femmes et la politique d’Egalité Femme/Homme. Elle a participé aux réflexions ayant conduit à la mise en place de l’Office de protection des citoyens (OPC) en tant qu’organe garant des
droits des citoyens et des citoyennes face à l’arbitraire des agents de l’Etat. Elle fut aussi
le fer de lance de la bataille du quota exigeant la présence d’au moins 30% des femmes dans les espaces décisionnels.


La CONAP a fonctionné jusqu’en 2010 et a participé activement dans la dénonciation
des dérives post-séisme et les plans de reconstruction made in Washington dans le cadre des actions menées du 8 mars au 3 avril 2010. Toutefois , le séisme a passablement affaibli la structure et a cessé ses activités après cette période .

Cette tranche de la vie du mouvement féministe montre que la CONAP a émergé en
tant que réponse que les femmes ont apportée de manière concertée aux nombreuses
violations des droits humains que le pouvoir a perpétrées contre la population,
notamment contre les femmes après le coup d’État de 1991. La CONAP s’est formalisée
en 2002 tout en s’impliquant dans la recherche de solutions à des demandes
structurelles. À travers la lutte contre les violences subies par les femmes, elle a porté
la bataille contre l’impunité sur la scène nationale entre 1990 et 2004. Elle s’est imposée
pendant ces deux décennies comme un pilier de la défense des droits humains. Ses
actions témoignent des liens intimes qui existent entre les luttes des femmes et celles
de la société. La CONAP fut un moment essentiel dans la structuration du mouvement
féministe haitien. La structure a permis de voir la manière dont un collectif peut
construire un agenda pour consolider un mouvement politique. En se fédérant leurs
organisations, les femmes ont élevé au rang d’exemple la nécessité de lutter
collectivement.

1- Soline Blanchard, Alban Jacquemart, Marie Perrin et al. 2018. La cause des femmes dans les institutions. Actes de la
recherche en sciences sociales, 2018/3, N 223, p.4-11, disponible https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-
sciences-sociales-2018-3-page-4.htm
2- CONAP, 2008. Pour la cause des femmes avançons, Haiti
3- Le 3 avril 1986 s’est tenu en Haiti, une manifestation de plus de 30.000 femmes réclamant le droit de participer à la gestion
de la chose publique.

Sabine Lamour, auteure

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