Déni de grossesse : une réalité qui touche bien des femmes en Haiti

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Le déni de grossesse signifie le fait pour une femme enceinte de n’avoir pas conscience de l’être. Les vomissements, nausées et autres symptômes que l’on ressent habituellement lors de cette période sont quasiment absents.

Par définition, le déni est le fait de refuser de reconnaître quelque chose. Un juge ou un tribunal peut refuser de rendre justice à quelqu’un, dans ce cas on parle de déni de justice. On parle également de déni lors du décès d’un proche, c’est une phase dans le processus de deuil. Il existe aussi le déni de grossesse où la femme attend un enfant sans le savoir. Cela peut paraître invraisemblable, digne d’un film hollywoodien, mais ça existe et c’est une réalité. Si les données qui retracent ce trouble psychique sont inexistantes en Haïti, il y a tout de même des femmes qui l’on vécu.

De jeunes femmes témoignent

« J’avais mes règles tous les mois, sans aucunes interruptions. Un jour, je suis allée voir un médecin parce que je ne me sentais pas dans mon assiette. La première question qu’il m’a posée concernait mes règles. J’ai trouvé ça bizarre, vu que je savais qu’il n’y avait pas de problème de ce côté-là », explique Zelda* qui avait décidé de se faire ausculter pour des maux de dos violents.

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Incapable de trouver un peu de répit à cause des douleurs, la jeune femme a pris l’initiative de voir un autre docteur, particulièrement un gynécologue qui lui a conseillé de faire une échographie. Cet examen va tout basculer dans sa vie, car il a révélé qu’elle était enceinte de plus de six mois. 

« Le ciel m’était tombé dessus en voyant ce petit être et en entendant les battements de son cœur. Je ne comprenais pas comment j’ai pu être enceinte sans m’en rendre compte. J’ai tout de suite pensé à la façon dont j’allais annoncer la nouvelle à ma famille, à mes amis. Et aussi au père, vu qu’on s’était séparés quelques mois auparavant », avoue celle qui était déjà maman.

Si l’histoire de Zelda est pour le moins particulière, elle n’est toutefois pas la seule à s’être retrouvée enceinte du jour au lendemain. Carline est aussi passée par là. Néanmoins, son déni de grossesse a quelques écarts, comparativement à celui de Zelda.

« Ca faisait des mois que je n’avais pas mes règles. J’avais aussi les pieds qui gonflaient. J’avais des douleurs au bas du ventre, je vomissais. Par contre, il n’avait pas pris de volume et je ne ressentais rien qui bougeait à l’intérieur. Une grossesse était la dernière chose à laquelle j’aurais pensée. Pour moi, je souffrais d’autre chose. »

Après s’être confiée à une amie infirmière, cette dernière lui a conseillé de voir un médecin qui lui a fait faire une panoplie d’examens dont une échographie.

« Le médecin a tourné l’écran vers moi en me demandant de le fixer alors qu’il passait l’appareil sur mon ventre. J’ai vu quelque chose qui était en train de bouger. Quand j’ai demandé au docteur ce que c’est, il m’a répondu que j’étais enceinte de 27 semaines. »

La stupéfaction de Carline n’a duré qu’un court instant. Elle allait avoir un bébé et c’est tout ce qui comptait pour elle.

Comment expliquer le déni de grossesse ?

Selon Rodrine Janvier, gynécologue-obstétricienne, il n’existe pas de consensus lié à la définition du déni de grossesse et aucune classification internationale de maladies psychiatriques ne le décrit jusqu’à date comme une entité clinique. Cependant, en fonction de la manifestation de ce trouble, il convient de dire qu’il s’agit d’un désordre psychosomatique de la grossesse. De façon plus brève, il est une forme de négation de la grossesse. En général, il y a peu de transformations corporelles. Si certains changements apparaissent, ils sont interprétés défavorablement. Si la femme ressent des mouvements fœtaux, elle les considérera comme des troubles digestifs surtout chez nous où tout malaise est attribué à la présence de gaz.

Il existe deux formes de déni de grossesse. Le déni peut être partiel où il prend fin avant le terme de la grossesse. Il peut être total, dans ce cas de figure, il se poursuit jusqu’à l’accouchement. Le fœtus grandit sans que le ventre de la maman ne grossisse, vu qu’il se positionne dans la longueur et il ne se replie pas sur lui-même. Cette position est appelée position fœtale. Il est impératif de souligner que ce trouble ne doit pas être associé à une grossesse dissimulée : ici, la mère a conscience d’être enceinte mais la cache à son entourage. Ce sont deux circonstances complètement différentes.

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Si on s’attarde un peu sur le concept de dissimulation, on pourrait le traduire par le  phénomène « mare pitit », assez connu en Haïti. La docteure Janvier, professeure à l’université, donne quelques explications.

« Mare pitit est une croyance qui consiste à empêcher le développement d’une supposée grossesse ou l’apparition de signes tel que l’augmentation de l’abdomen. Il peut être volontaire (décision personnelle) ou dirigé (contre une autre femme, ex « Matlòt », concubine). Les croyants pensent que le « mare pitit » peut aboutir à la perdition ou grossesse nerveuse si la formule est oubliée pour « demare pitit ». Selon moi, le « mare pitit » est trop complexe pour être comparé à une grossesse nerveuse (fausse grossesse) ou au déni de grossesse. Parfois il se rapproche de l’un ou de l’autre ou des deux. », a-t-elle dit.

Les conséquences liées à cette anomalie peuvent être graves tant pour la mère que pour le bébé. Du côté de ce dernier, il peut naître avec peu de kilos car il n’y a pas eu de suivi durant la grossesse. Une mauvaise alimentation peut également être en cause. La conséquence la plus grave est la néonaticide qui conduit au meurtre de l’enfant durant son premier jour de vie d’où la nécessité d’un bon accompagnement de ces femmes souffrant de déni de grossesse.

La maman, quant à elle, peut avoir des complications au moment de l’accouchement. L’éclampsie est une possibilité puisque le suivi médical permettant de déceler une tension artérielle élevée n’a pas été fait, toujours selon la Dr Janvier.

Si le déni de grossesse de Carline a été partiel et qu’elle a pu voir un médecin avant la fin de sa grossesse, elle a quand même fait une éclampsie ce qui avait obligé les médecins de procéder à une césarienne. Aujourd’hui, son enfant se porte à merveille. Zelda, quant à elle, n’a eu aucun souci à l’accouchement. Ce qui n’a pas été simple, c’est le quotidien après la naissance.

« L’enfant était en bonne santé mais pour moi ça n’allait pas. Quand je l’ai vu, le courant ne passait pas. J’avais pas de sentiment, je ne savais plus où j’en étais. Je prenais soin d’elle, je la trouvais belle mais je me questionnais encore et encore », raconte celle qui a dit avoir appris à s’y faire sans l’aide d’un expert en psychologie. Carline aussi n’a pas vu de médecin.

Prise en charge psychologique

Pour Leonne Milfleur, psychologue et travailleuse sociale, un accompagnement psychologique pour une femme qui a fait un déni de grossesse est essentiel. Cela lui aidera à avoir une compréhension psychopathologique du trouble. 

« Une prise en charge mère/enfant peut être nécessaire si la maman décide de garder l’enfant. Ça aidera la mère à tisser un lien affectif avec son bébé, car en l’absence du temps de maturation psychologique de la grossesse, ce lien peut être difficile à mettre en place. En réaction au sentiment de culpabilisation de n’avoir rien vu de leur grossesse ou d’avoir eu des comportements à risque durant celle-ci, certaines mères peuvent au contraire être dans l’excès avec leur enfant pour compenser. Là aussi, un accompagnement mère/enfant contribuera à rétablir un lien sain. »

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Zelda et Carline, même si elles ont été supportées par leurs amis.es proches et familles, ont eu à affronter les regards de certaines personnes qui ne les avaient pas vues enceintes. Une fois que Carline donnait le sein à son bébé, une dame qui passait par là lui a demandé où elle avait volé cet enfant. En guise de réponse, Carline lui a tiré son lait au visage. « Mw fèl poul pa janm di sa ankò », lâche-t-elle tout de go.

* Zelda est un nom d’emprunt

Diane Bissereth


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