Quand Mariama Bâ redonne la parole aux femmes

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Les autrices Noires du sud global sont les grandes oubliées des grands prix littéraires. Ces espaces de reconnaissance répondent encore à des logiques qui donnent plus de visibilité aux hommes, à fortiori blancs et occidentaux. Cependant, la littérature produite par des femmes Noires du sud globale existe et mérite d’être lue et reconnue. C’est dans cet objectif que Mus’elles vous propose un roman incontournable à ajouter à votre pile à lire: Une si longue lettre de Mariama Bâ.


Figure incontournable de la littérature du continent, Mariama Bâ n’est rien de moins que l’autrice d’un texte fondateur sur la condition de vie des femmes du continent, en particulier de son pays le Sénégal. Publié en 1979, elle aborde dans son roman, la polygamie à travers l’histoire de Ramatoulaye, institutrice sénégalaise qui écrit à sa meilleure amie Aïssatou après la mort de son mari Modou. Le destin des deux femmes est mis en miroir et à travers elles, Mariama Bâ analyse le poids des traditions ancestrales et la nécessité du renouvellement sans se perdre. En effet, alors que les traditions jouent un rôle fédérateur dans la construction de l’identité collective des peuples, il est souvent difficile de faire accepter leur remise en question, voir leur abolition. En particulier, quand il s’agit de traditions dont les principaux privilégiés sont des hommes, à l’intérieur de sociétés patriarcales.

Au-delà de son travail littéraire, Mariama Bâ a aussi longtemps œuvré à l’abolition des castes au Sénégal. Elle est arrivée sur la scène littéraire à un moment crucial. Dans un entretien pour Radio France, le romancier congolais Alain Mabankou qui se trouve être aussi professeur de littérature à l’Université dit ceci :« Au-delà de la dénonciation de la polygamie, Une si longue lettre célèbre la force de l’amitié entre femmes.» En effet, alors que le mode de vie en communauté des sociétés africaines a beaucoup été documenté dans la production scientifique, la sororité chez ces dernières ne fait pas le sujet de beaucoup de travaux. Fortement influencées par le traumatisme colonial, les formes de liens entre les femmes sur le continent africain représente pourtant un sujet d’étude particulièrement intéressant pour comprendre les dynamiques afro féministes contemporaines.

Alors que la production littéraire des années 1950-60 était dominée par les hommes, Mariama Bâ a chamboulé la scène littéraire et ainsi ouvert la voix à d’autres autrices sénégalaises et africaines de manière générale. Avec une langue d’une grande poésie, elle renouvelle le roman sénégalais en y ajoutant le point de vue féminin. Un point de vue jusque-là presque absent du débat public. À travers ce roman, elle refait des femmes des êtres doués de subjectivité et leur rend leur agentivité. Elle ne critique pas les traditions en faisant des pratiques vielles et démodées, mais en mettant en lumière les inégalités que charrient ces dernières. Elle rend visible l’expérience située de la moitié des habitants du continent et se faisant rend possible la professionnalisation de ces dernières en tant que romancières, poétesses, écrivaines.
« S’aimer ! Si chaque partenaire pouvait tendre sincèrement vers l’autre ! S’il assumait ses réussites et ses échecs ! S’il exhaussait ses qualités au lieu de dénombrer ses défauts ! S’il exprimait les mauvais penchants sans s’y appesantir ! S’il franchissait les repères les plus secrets pour prévenir les défaillances et soutenir, en pansant, les maux tus ! »
Mariama Ba : Une si longue lettre.

Melissa Béralus


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