Pourquoi lire “Bad Feminist” de Roxane Gay

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En 2014, le livre Bad Feminist est sorti. Un moment pour son autrice, Roxane Gay de faire l’aveu puissant d’avoir été une mauvaise féministe. Roxane Gay, américaine d’origine haïtienne, ne célèbre pas les combats ni les victoires obtenues. Elle ne célèbre rien, elle admet avoir été vaincue, elle admet avoir fait des erreurs.

Elle réfléchit sur ses positions passées qui ne révèlent pas toujours des positions égalitaires en matière de rapports sociaux de sexe. Elle a dansé sur des musiques plutôt misogynes, elle a aimé des films qui ne défendaient que le regard masculin, dit male gaze. Elle a fermé les yeux ici et là, acceptant une avance déplacée mais qui lui plaisait. Certaines fois, elle a fui des idées et fait des choix discutables.

Gay explique d’entrée jeu qu’elle a longtemps refusé d’etre appelée féministe. Pour cause, elle ne voulait pas endosser l’image de radicale, d’hystérique qu’on servait et qu’on sert toujours aux féministes. Elle ne voulait pas être de celles-là et passer pour le cliché de service. Mais, même quand elle aurait eu le courage d’affronter les détracteurs, elle n’avait pas fait assez de bonnes actions, elle n’avait pas la bonne posture intellectuelle qui est souvent prônée dans ce mouvement aux États- Unis. Elle a été une mauvaise féministe.

Contraire à la norme, elle reprend sarcastiquement le nom qu’on lui accole, et ça a été plus libérateur d’admettre de ne pas avoir eu à la naissance un manuel de féminisme, d’égalité et de justice sociale. Prendre conscience qu’on a essayé du mieux que possible d’exister et de créer sa place face à toutes les discriminations vécues. Bad feminist est un essai sur une femme qui refuse d’être soit ses erreurs soit ses victoires, mais d’être une féministe imparfaite. Roxane Gay à travers ce livre ne veut pas agir comme si le passé était le passé mais comme une part entière de son identité. Elle accepte avec assurance son histoire autant qu’elle réclame sa vérité.

Se pardonner

Ce livre est une longue introspection sur sa vie et ses choix. Cet essai aborde comment comme femme mais également comme noire, elle a vécu divers événements. De l’intime à la pop culture, elle essaie de comprendre son histoire. Elle décrit comment à une période de sa vie elle était envahie par une certaine pression pour combler le moindre vide en elle.

Cette série de réflexions montre à la fois une culpabilité face au passé mais aussi une assurance dans le renouvellement de son combat féministe. Elle nous parle des étiquettes et de la façon dont il est presque impossible de construire sa personnalité et sa ligne de combat quand les autres veulent incessamment vous identifier à un type, vous y enfermer et vous juger sur leurs propres conceptions. Elle déclare admirablement: “On demande à tout le monde d’obéir à des lois tacites qui régissent l’identité, le comportement, le mode de pensée et la parole. Nous prétendons détester les stéréotypes, mais nous avons un problème lorsque les gens s’en écartent. Un homme, ça ne pleure pas. Les féministes ne se rasent pas les jambes.”

Les féministes deviennent souvent des figures irréelles, des super-femmes, des héroïnes et des amazones. On pense que déclarer l’égalité déconstruit automatiquement l’éducation sexiste dont elles ont été l’objet et qu’elles ont possiblement reproduit. Elles sont automatiquement capables de se défendre, de ne plus avoir honte et de ne pas flancher. Elles n’ont plus le droit à l’erreur. Le livre Bad Feminist n’est pas un espace de reconversion, mais surtout un espace de découverte et d’acceptation. Un livre pour se dire qu’il se peut bien que j’ai dansé sur un rabòday ouvertement misogyne, qu’il est possible que je n’en étais pas consciente à l’époque. On se rend compte qu’il nous est possible de réaliser qu’avant on a été des mauvaises féministes.

Lire Bad Feminist, c’est avoir les clés en main pour emprunter un cheminement vers le pardon de soi, et réaliser qu’on est beaucoup plus sur terre à être des militant.e.s ou tout simplement des humains imparfaits. Qu’il arrive qu’on ait raté une réaction appropriée, d’avoir perdu l’essentiel et à s’être retrouvé.e par la suite. Rien de trop dramatique pour l’autrice, ce sont des choses humaines à interpréter ses propos.

Bad Feminist pour accepter qu’on chemine sur la voie de la libération et qu’on est pas aussi libre des principes oppressifs qui nous ont été inculqués. Bad Feminist nous propose de réfléchir sur nos erreurs et notre progression actuelle. Ce livre incite à réfléchir et organiser nos critiques sur notre présent, sur ce qu’il nous est possible de ne plus accepter. On se dit aussi que tout s’apprend dans la vie comme être plus compatissant.e envers soi-même et envers les autres. Mais, peut-on toujours s’appuyer sur un tel postulat?

Déborah Douyon


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