La neutralité n’a pas sa place ou ne peut exister. Sauf dans le cas où la pièce est truquée, où les deux côtés sont pareils ; ceci dit, il y a toujours deux côtés : pile ou face, la médaille et son revers, d’après mon humble avis. Dans le cas d’un film, c’est pareil : il y a la position de l’acteur qui, en général, attire la sympathie et le bandit qui se fait très souvent détester. Normal, c’est fait pour. Tous les films cherchent d’une manière ou d’une autre à orienter notre point de vue, consciemment ou inconsciemment, ça nous modélise. Personne n’osera dire qu’en étant petit il ne s’était déjà vu dans la peau d’un acteur ou faisant ce qu’il faisait dans les moindres détails. C’est ainsi que passe la socialisation pour nous forcer à accepter certaines choses comme étant normales. Ce n’est pas sans raison que des jeunes hommes sont autant brutaux dans les rapports sexuels et que des jeunes filles se retrouvent dans des situations dans l’intimité qu’elles acceptent et trouvent normales. Il y a toujours une stratégie pour nous mettre dans la peau d’un personnage ; qu’on nous force en quelque sorte à accepter. Cela s’insinue, petit à petit, insidieusement jusqu’à l’acceptation finale. Encore une chose ce n’est pas évident d’accepter d’être du côté des perdants. C’est un fait.
Mariage d’Antan : critique
Mariage d’Antan, qui n’a pas vu ce film ? Je devais avoir 17 ou 18 ans quand je l’ai vu. D’emblée je l’ai trouvé écœurant, révoltant. C’est un film qui relate comme son nom l’indique une réalité criante de la société haïtienne en matière de virginité et de mariage, tous les tabous et tralala. Mais, moi j’avais du mal à accepter l’idée qu’on puisse d’abord forcer une jeune fille à se marier avec un homme plus âgé et non seulement la forcer mais l’échanger contre du bétails, comme une vulgaire marchandise. En plus de cela, il fallait regarder l’homme qui n’avait aucune tendresse et considérait la fille comme un bien durement acquis et dont il doit être récompensé au prix demandé. Il faut en plus regarder la réaction de l’homme quand il a finalement touché à ce qu’il croyait être le gros lot : « Lucienne kote san an ? » « si se pat tèt kabann nan m kenbe m manke ale wi », comme quoi pour cet individu et tant d’autres, une vierge doit obligatoirement saigner comme une vache écorchée le jour de l’acte sexuel et une fois qu’elle ne saigne pas ou alors qu’elle n’est tout bonnement pas vierge elle est considérée comme avoir un trou béant où pourrait se produire un tourbillon pour emporter quiconque qui s’approche de trop près. Ce film m’a mis et me met encore hors de moi. Certes, une représentation de la réalité haïtienne, de certaines coutumes en milieux ruraux, mais pas moins mauvaise, dramatique, exagérée et peut-être un peu mal représentée. Dis-je qu’on devrait prendre des gants avec ce sujet ? Dans la manière de l’aborder, oui car, comme je l’ai susmentionné, tout film influence la vie, l’avis et la mentalité de ceux et celles qui le regardent. Ce film ne serait-il pas une pointe de l’iceberg d’une société catégorisant et méprisant les femmes non-mariées ou non-vierges assumant leur sexualité ?
Le mythe de la virginité : fait d’une société machiste
Le cliché, le mythe qui se construit autour de la virginité n’est pas un problème haïtien, bien au contraire. Au Moyen-Orient, dans les pays musulmans, en Afrique subsaharienne plus précisément le mythe de la virginité est encore plus présent. Dans ces pays-là une fille qui n’est pas vierge ne pas espérer de se marier, peu importe les conditions de la perte de sa virginité, a affirmé l’auteure Leila Slimani dans son livre sur la condition des femmes marocaines. Il faut souligner que dans ces pays, le viol est très courant et n’est pas souvent puni puisque c’est souvent perpétré par un très proche de la famille. De plus, la victime parfois doit épouser son bourreau. La virginité n’est pas qu’une affaire de la fille en question, c’est l’affaire de la famille : « la virginité de la jeune fille n’est pas considérée comme une propriété ou un état personnel qui n’implique que celle-ci. Elle dépasse cette notion de personnalisation dans le sens de la continuité et du prolongement d’un système de valeurs où l’ensemble de la famille se considère impliqué, et revendique la propriété et la protection. La jeune fille dans ce cas est dépersonnifiée et ne peut s’affirmer comme un être responsable que « dans » et à travers la famille. Elle est ignorée, niée comme être individuel ; elle est seulement reconnue comme être familial » (Zemmour, 2002). C’est une pression exercée par la famille, la société, la religion et l’homme sur la jeune femme pour avoir un contrôle sur sa vie, son corps, sa sexualité en particulier. Elle permet à la famille de faire une bonne affaire, de trouver un gendre bien cadré et d’échanger la jeune fille contre une meilleure situation. Dans le cas où la famille se trompe sur la nature de la sexualité de cette fille, que ce soit de sa faute ou non, celle-ci sera avilie et sa famille aura perdu son honneur. Cependant en étant victime, cette femme est aussi la source et l’objet du pouvoir de l’homme qui refuse de la défendre en la livrant face à la société toute entière.
Zemmour (2002) considère la perte de la virginité, comme un sacrifice par le fait qu’une jeune fille doit être vierge la nuit de noce pour réparer ou assurer l’honneur de sa famille, de l’homme qui se sentira honoré d’avoir comme tondu un gazon neuf. L’auteure le dit : « le sacrifice est un rituel. En effet il y a bien un sacrifice rituel. La nuit de noce le sang coule (ou il doit couler). Il est impératif de le montrer ». C’est tellement vrai, le jour succédant la nuit de noce les parents (la mère très souvent) de l’homme (sacrificateur) en question, doit venir vérifier si le sang avait coulé. C’est ce qui amène de nombreuses ruses pour se refaire une virginité, en Orient. Il y a des opérations très couteuses (Slimani, 2017) pour cela ou des consultations pour confirmer la virginité de ces dernières avant les mariages. Dans notre pays, ce sont les « Beny » pour fermer le vagin, toutes sortes de thé ou je ne sais quel autre astuce dont ont recours les jeunes filles
Prostitution masquée ?
Sachant qu’on a une société très portée sur le sexe, la chair appelle la chair et quand c’est le cas comment peut-on espérer que nos jeunes filles restent vierges alors que nos garçons veulent avoir de la chair ? Avec qui ont-ils ces relations sexuelles étant jeunes ? Nos jeunes filles doivent réprimer leur désir pour s’offrir en pâture au mariage juste par devoir, parce qu’il faut que ce soit le mari. Si on trouve quelqu’un qu’on aime, vraiment ou juste quelqu’un avec qui on veut que ça soit fait, on doit faire une croix dessus et s’offrir au bourreau qui ne sait même pas comment s’y prendre ? Et se dire toute sa vie que ce serait mieux avec quelqu’un qu’on aurait choisi, voulu et non obligé par les normes sociales ? A votre avis, Lucienne a eu tort de choisir l’homme qu’elle aimait pour le faire pour la première fois avant d’aller passer une vie misérable et chiante au côté de l’homme qu’elle a été obligé d’épouser contre des bétails et des propriétés ? Et le plus révoltant dans tout ça, c’est que cet individu se fera rembourser toutes ses dépenses et se faire remettre terres et bétails juste parce que le sang n’a pas coulé. N’est-ce pas de la prostitution maquillée ? Tu paies, je te donne.
En plein XXIe siècle je crois que des clichés pareils ne persistent pas encore au sein de notre société et que les hommes ont compris que être non-vierge ne signifie pas trainée ou trou béant comme le film Mariage d’Antan a voulu le faire croire. J’espère qu’on a tous compris que la dignité d’une femme ni l’honneur de sa famille ne résident pas dans sa virginité (ou tout bonnement le sang) et qu’en 2020 aucun contrôle n’est souhaitable sur le corps ou la sexualité des femmes.
Rodeline DOLY, étudiante mémorant en Sociologie, étudiante en Sces juridiques
Présidente de l’Organisation pour l’Emancipation des Femmes à travers l’Education (OEFE)
Notes : Fait étonnant, en cliquant sur Google aujourd’hui pour avoir une idée scientifique des écrits sur la virginité en Haïti, j’ai été surprise de voir qu’il n’y en avait pas. Du tout. À dire que cette thématique qui soulève controverse dès qu’on en parle n’intéresse pas réellement grand monde.
Zine-Eddine Zemmour, Jeune fille, famille et virginité, 2002.
Leila Slimani, Sexe et Mensonges, 2017.