Madeleine Sylvain-bouchereau, une page d’histoire de la lutte féministe haïtienne

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Une causerie, animée par la sociologue Sabine Lamour et la militante féministe Danièle Magloire, s’est tenue le 15 mars dernier dans les locaux de Kay Fanm autour de la pensée de Madeleine Sylvain-Bouchereau, l’initiatrice de la première organisation féministe en Haïti, la « Ligue Féminine d’Action Sociale ».

Dans une ambiance empreinte de bonne humeur et de convivialité, un pan de l’histoire de la lutte féministe en Haiti a été partagé avec près d’une trentaine de jeunes filles par la membre du Comité de Coordination de Kay Fanm Danièle Magloire, relatant au passage l’histoire de la Ligue Féminine d’Action Sociale, un point incontournable pour comprendre la pensée de Madeleine Sylvain-Bouchereau.

Les prémisses d’une lutte

Dans un contexte socio-politique marqué  par la fin de l’occupation américaine, est née la première organisation féministe haïtienne. L’histoire de la LFAS n’est pas linéaire, elle débute donc en 1934. Le 22 février de cette année-là , Madeleine Sylvain-Bouchereau, l’initiatrice de la Ligue Féminine d’action sociale (LFAS) propose à Alice Garoute, Fernande Bellegarde, Olga Gordon, Thérèse Hudicourt, Marie Corvington, Alice Téligny-Mathon, Esther Dartigue, Maud Turian et Georgette Justin, pour ne citer que celles-là, la création d’une structure luttant pour l’obtention des droits civils et politiques des femmes. Le 3 mars 1934,  la première assemblée générale de la LFAS est organisée et Alice-Garoute est nommée présidente de la Ligue. C’est cette date que l’histoire retiendra comme date de création de la LFAS.  

La ligue n’était pas autorisée par l’Etat haïtien de fonctionner, parce que leur programme consistant à contribuer à l’amélioration physique, intellectuelle et morale de la femme haïtienne pour la rendre consciente de ses devoirs sociaux et de faire reconnaître leur l’égalité civile et politique, était jugé inapproprié et cela créera une cassure au sein de la LFAS qui perd une bonne partie de ses membres.

Le 10 mai 1934, la LFAS est refondée avec Madeleine Sylvain Bouchereau comme présidente et Alice Garoute comme vice-présidente. Cette fois,  leur programme consiste en l’amélioration physique, économique et sociale de la femme haïtienne. C’est assez vague mais cela suffira à leur permettre d’étendre leur champ d’action et de mettre en exergue la question des droits des femmes haïtiennes. Quelques temps après, l’État haïtien reconnaîtra légalement leur association. Ce qui fera de la LFAS la première organisation féministe haïtienne reconnue par l’Etat.

La Ligue s’intéressait à la question des droits des femmes à plusieurs niveaux. Elle utilisait le journal « La voix des femmes » pour véhiculer ses idées dont la réglementation de la prostitution, l’obtention des droits de vote, la normalisation de la scolarisation des filles, l’autonomisation totale des femmes. Elles parlaient pour les commerçantes, les femmes de ménages et les fillettes en situation de domesticité. Si nous avons aujourd’hui beaucoup de droits tel que le droit de vote, c’est grâce à la Ligue et le combat sans relâche qu’elle a mené. Pour reprendre les mots de Danièle Magloire, il n’y a pas de génération spontanée, la lutte féministe d’aujourd’hui est la continuation de ce mouvement initiée par la Ligue elle-même.

Le régime des Duvalier mettra la LFAS à genoux et calmera la montée du mouvement féministe en Haïti. En effet, les locaux de la Ligue ont été saccagés et brûlés. L’une de leur membre, Yvonne Hakim Rimpel, a été la première victime officielle du régime. Elle a été violée, battue et laissée pour morte par les Tontons Macoutes  dans un ravin. Mais elle a eu la chance de voir le départ des Duvalier du pouvoir et la reconstitution de la LFAS avant sa mort.

Entre éveil intellectuel et action féministe

On ne peut parler de la Ligue sans parler de son initiatrice qui, selon les dires de la sociologue Sabine Lamour, est une figure centrale pour la structure parce qu’à  chaque fois que la LFAS s’affaiblissait, elle revenait avec des idées novatrices pour la garder en vie.

Madeleine Sylvain-Bouchereau est née le 5 juillet 1905 à Port-au-Prince, sous le gouvernement de Nord Alexis, dans un contexte d’après crise, c’était la période de l’entre-deux guerres. Son père Georges Sylvain et sa mère Eugénie Malebranche sont tous deux des activistes pour les droits humains. Sa mère défendait la cause des haïtiennes contre les violences sexuelles que pratiquaient les marines lors de l’occupation américaine et son père s’opposait farouchement aux débarquements de l’oncle Sam.

Sabine Lamour, Coordonnatrice Générale de Sofa, a décrit Mme Bouchereau comme une personne brillante, cultivée, intellectuelle, elle est la première femme haïtienne à avoir fait un doctorat en sociologie.

Elle a étudié le droit à l’Université d’État d’Haïti. Elle a aussi fait un doctorat en sociologie au Bryn Mawr College. Sa thèse portait sur Haïti et ses femmes. En 1937, elle a représenté Haïti à la troisième Conférence Interaméricaine sur l’Education et a participé au premier comité pour le droit des féministes. Quelques années plus tard en 1944, elle a organisé pour les Nations-Unies des services sociaux pour les prisonniers polonais. En 1957,   elle deviendra la première femme à poser sa candidature au poste de sénateur en Haïti.

Madame Madeleine Sylvain Bouchereau a connu très tôt la militance de par ses parents ou de ses vécus. C’est ce qui explique que dès la vingtaine, elle a eu l’idée d’initier la structure philanthropique appelée les Pupilles de Saint-Antoine, située dans la zone de Poste-Marchand, pour venir en aide aux  jeunes filles les plus défavorisées. Puis elle a initié la LFAS, son combat de cœur et de vie pour l’égalité et l’amélioration des conditions de vie des femmes haïtiennes.

Entre collation et causerie, l’atelier s’est déroulé dans un contexte amical où deux générations de femmes féministes remuaient leurs souvenirs et le passé de Madeleine Sylvain Bouchereau qui a tant inspiré les féministes post-86 et la génération montante. L’histoire de la lutte féministe est peu racontée et n’est pas accessible à souhait, ce moment d’échanges offrait donc l’opportunité aux intervenantes de déterrer de l’’oubli cette page d’histoire de la lutte féministe haïtienne.   

Thara Layna Marucheka Saint Hilaire


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