Les femmes grandes victimes de la violence des gangs en Haïti

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Les affrontements entre gangs armés au niveau de la région métropolitaine de Port- au-Prince ont fait environ 8 550 déplacés.es dont 4 964 femmes selon des chiffres communiqués le jeudi 24 juin par l’Unicef. Cela fait environ plus de trois semaines depuis que plusieurs de ces familles se sont réfugiées au Centre sportif de Carrefour. Cette situation vient compliquer encore plus l’existence des femmes qui bien avant, peinaient à joindre les deux bouts. Enfants en main, sans bagages et sans argent, c’est le début d’un long périple pour bon nombre de ces familles.

« Je travaille dans une usine de la capitale. J’ai abandonné ma maison depuis le mardi 1er juin avec mes trois plus jeunes enfants. Si je m’étais rendue au travail ce soir-là, j’aurais pu perdre mes enfants »,raconte tristement Bertha Marcelin*, trentenaire qui a dû fuir sa maison depuis environ un mois avec ses enfants. Ex-riveraine de Martissant 23, elle a tout perdu. Comme des centaines d’autres femmes déplacées internes – elle a trouvé refuge au Centre sportif de Carrefour où elle vit depuis lors dans des conditions difficiles.

Dans cet exploit où s’entassent comme des sardines plus de 1 100 personnes, un total de 603 femmes n’a plus d’intimité. Leur existence est totalement réduite à rester dans un espace restreint partagé avec des inconnus.es de toutes sortes. En plein air, toute leur vie est visible aux premiers arrivés. Cuvettes, vases, draps, matelas et vaisselles – tout se trouve au même espace consommant de la poussière à outrance. L’écrasante majorité de ces biens provient de dons de diverses organisations dont des institutions féminines et féministes.

La plupart du temps ces gens partent sans rien prendre en laissant tout derrière eux. Et malheureusement, il y a de grands risques pour qu’ils perdent tout puisque les maisons délaissées sont souvent pillées dans certains quartiers comme Martissant. Des femmes ont été violées et d’autres ont perdu un proche. Nombreuses ont dû abandonner des cours professionnels alors que des enfants ont perdu le reste de l’année scolaire. La situation impacte négativement le travail et autres activités génératrices de revenus d’autres femmes. Le moment est propice pour des actions de courte durée telle que l’aide apportée par des institutions publiques ou privées et surtout des ONGs.

Doublement victimes et des lendemains incertains…

« Si seulement je pouvais aller récupérer quelques affaires, je le ferais. Mais, je n’ai aucune intention d’y aller habiter. D’ailleurs j’avais proposé à mon mari de laisser la zone, mais il n’a pas suivi mes conseils, poursuit Mme Marcelin qui essaie de retenir ses larmes.Car il estimait que le loyer est beaucoup moins cher là-bas. Maintenant, on voudrait bien louer une maison pour pouvoir laisser le centre sportif, mais à présent, on nous demande 90 mille gourdes pour une chambre. Où allons-nous trouver cette somme ? », désole-t-elle.

Une enquête menée en mai 2021, par le Fonds des Nations-Unies pour l’enfance (Unicef)  révèle qu’un jeune sur cinq en Haïti pense que la violence empêche les enfants d’aller à l’école, et près d’un jeune sur deux rapporte que la peur est le principal effet de la violence sur les enfants.

« J’avais la chance de laisser la maison avant que les choses se dégénèrent. Par contre, ma famille vivait toujours là-bas. J’ai quitté la maison à deux reprises pour aller chez des particuliers. Cela fait bizarre de devoir laisser sa maison sans planification. Il y a des dépenses supplémentaires », raconte Cherly Louissaint*, étudiante à l’Université d’Etat d’Haïti. Elle fait partie de ceux. Celle qui ne souhaitent plus retourner vivre au Ve avenue Bolosse où se situe sa maison. 

« Non, mes enfants ne se sont pas rendus.es à l’école depuis ce mardi 1er juin. Il y a un d’entre eux qui va à l’école chez Madame Roy à Martissant 23. Et l’autre, il est dans une école située en face de Martissant 23. Depuis les affrontements, toutes les écoles sont restées fermées. En quittant la maison, j’ai tout laissé, leurs uniformes, leur sac d’école. Tout ! », se plaint Bertha Marcelin.

Dans un document publié par le bureau de l’ONU chargé de la coordination humanitaire (UNOCHA) sur la situation des personnes en déplacement à cause de la violence des gangs à Port-au-Prince, il est mentionné que les attaques entre gangs occasionnent des violences et d’abus sexuels notamment sur des femmes et des filles. Toujours selon le rapport sorti en date du 14 juin 2021, des violences basées sur le genre sont signalées parmi la population déplacée, avec des abus sexuels, y compris des viols, parmi les personnes déplacées, dans les familles d’accueil et comme offre de ” sexe contre abri “.

Cette situation engendrée par la guérilla urbaine depuis le début du mois de juin dans le quartier de Martissant n’est qu’une goutte de plus dans la vase. Elle ne vient ainsi qu’augmenter le nombre des cas de violences contre les femmes. « Je ne comprends rien à ce qui se passe. J’habite à Martissant depuis en 2013. Je n’ai jamais vécu quelque chose pareille. Je ne compte plus y retourner. Seul Jésus peut nous venir en aide ! », termine Mme. Marcelin, la voix éprise d’une désolation certaine.

Des organisations féministes s’inquiètent

Depuis ces 22 jours qui suivent les affrontements, la situation dans laquelle vivent les femmes et les filles dans le centre sportif de Carrefour devient plus en plus compliqué. C’est une situation qui exaspère certaines organisations féministes comme Kri Fanm Ayiti (KRIFA). 

« C’est une situation très critique. Quand je dis critique c’est par rapport aux conditions dans lesquelles vivent ces femmes dans ce centre. Vous n’avez qu’à regarder les photos qui circulent sur les réseaux pour le constater. Ce n’est pas une vie qu’elles sont en train de vivre », se plaint la coordonnatrice de Krifa Fanm Ayiti (KRIFA), Guerlyne Mesidor qui lance un appel à toutes les organisations et spécialement à l’Etat haïtien afin de venir en aide à ces femmes et ces adolescentes, qui vivent dans ce centre, dépourvues de toute intimité. 

En plus des conditions de précarité dans lesquelles se retrouvent ces centaines de milliers de personnes dans ce camp de refuge à Carrefour, la probabilité pour qu’il y ait une vague de contaminations liées à la covid-19, demeure une autre épée de Damoclès suspendue au-dessus de leurs têtes.

Dougenie Michelle Archille

Ps: Pour des raisons de sécurité, les noms des femmes victimes sont des noms d’emprunt.


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