Edwidge Danticat est une autrice contemporaine installée aux Etats Unis d’Amérique. Si son talent littéraire est salué depuis plusieurs années par de nombreuses récompenses, son travail est encore en Haïti très peu accessible pour une partie du lectorat. Dans sa bibliographie qui s’étend sur plusieurs années de production, il faut s’intéresser à son deuxième roman, La récolte douce des larmes, paru en anglais sous le titre “Farming of Bones”. En effet, ce livre revient sur une page historique très sombre du pays et questionne des phénomènes sociaux on ne peut plus actuels dont le colorisme, le racisme, la dictature et la migration.
Avant Edwidge Danticat,, Alexis ou encore Philoctète se sont attaqués à cette tragédie, cependant, l’œuvre de Danticat se concentre sur le vécu d’un personnage feminin et de ce fait redonne de la visibilité à ces dernières, dont le témoignage est noyé dans le masculin neutre du récit historique.
Dans le roman, on suit Amabelle Désir, haïtienne noire amie avec la senora Valencia, claire de peau épouse d’un officier de la garde de Trujillo. De plus, elle donne naissance à deux enfants qui, du fait de leur couleur de peau, claire pour l’une un, foncé pour l’autre, subiront eux aussi discriminations et racisme. l’histoire se déroule sur deux scènes: la scène politique où nous suivons le dictateur dans sa folie meurtrière et de l’autre côté Amabelle.
La récolte douce des larmes a été écrit, documents historiques à l’appui. Les scènes de massacres n’ont de fictifs que leur présence dans le roman. Cependant ce n’est pas un regard binaire qui pose les haïtiens d’un côté comme les gentils et les voisins de comme les méchants. Elle creuse le fond du problème qui est systémique et non individuel. Dans le roman, las du traitement qu’ils subissent, les haïtiens eux mêmes finissent par trouver un justificatif à leur mort.
“Quand tu restes trop longtemps chez ton voisin, il est naturel qu’il se fatigue de toi et qu’il te haïsse.”
Quoique le livre se concentre sur le massacre de 37, la place qu’il accorde à Amabelle en fait un livre dont un discours feministe fort est lisible. En effet, son expérience personnelle devient une expérience plurielle et collective et pose la réflexion des intersectionalités des discriminations et questionne le genre dans les discours migratoires. Amabelle, personnage principal et narratrice, raconte avant tout son histoire par le prisme de son genre et de sa couleur de peau. Nous vivons avec elle son expérience.
La narration à la première personne est de plus en plus répandue dans la littérature contemporaine. La voix narrative féminine dans la production écrite a cependant longtemps été cantonnée à l’épistolaire et son emploi par des autrices et des auteurs pour camper un roman permet de créer des personnages forts et incontournables qui pourront s’inscrire dans l’imaginaire collectif des peuples auxquels ils appartiennent. En Haïti nous avons Manuel, Danticat a voulu que nous ayons Amabelle et qu’à travers son regard, nous regardions l’histoire d’Haiti et fassions face à nos traumatismes coloniaux.
Melissa Béralus