Le fer découpé à Noailles : un art de résistance et d’autonomisation féminine

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Le village artistique Noailles est un haut lieu de création en Haïti. Au-delà de la grande concentration d’ateliers, de la promotion du fer découpé dans le monde et de l’importante source de revenu que représente le travail de ces artistes.

Le village constitue aussi, un des rares espaces ou les rapports de genre sont symétriques dans l’organisation du travail en Haïti. C’est-à-dire que, femmes et hommes de tous âges, y travaillent et exercent leur autorité. D’ailleurs, les artistes femmes ont des carrières aussi épanouissantes que leurs homologues comme on a pu le voir avec l’exposition Vives en 2022 qui réunissait 70 femmes créatrices dont 5 sculptrices de Noailles. Au contraire d’autres pratiques artistiques comme la peinture, le fer découpé semble échapper au « male gaze » tel que théorisé par la critique de cinéma Laura Mulvey. Ce concept désigne un regard masculin qui objectifie les femmes dans les représentations esthétiques dominantes.
Dans le fer découpé, l’iconographie privilégie des modèles fantastique, symbolique et religieux. Sont représentés des animaux mystiques, des esprits, des figures sacrées. Peu de représentation de corps sexualisés ou de femmes-objets dans les œuvres des artistes de Noailles comme nous pouvons l’observer dans l’histoire de l’art occidental

Le fer découpé représente aussi pour les femmes du village, une pratique d’empouvoirement où elles renouent avec leur agentivité. Cette dynamique est illustrée par le témoignage de l’artiste Marie Guerlande Ballant, recueilli en 2022 par le média Mus’elles. Elle y explique avoir grandi au Village Noailles, s’être progressivement « approprié cet art » et avoir « pu exposer ses œuvres en Espagne et en Colombie », renforçant ainsi sa reconnaissance locale et internationale.
Ce témoignage montre le pouvoir émancipateur du fer découpé pour les femmes et filles du village. Il montre comment cette pratique leur permet de réinvestir un rôle actif dans la vie économique et sociale du village. De plus, cette pratique leur permet de se réapproprier un rôle actif au sein de la communauté tout en acquérant une reconnaissance indéniable au sein de la communauté et ailleurs. Ainsi, cette dynamique s’inscrit dans une lecture décoloniale de la culture telle que proposée par Walter Mignolo : en affirmant leur agentivité à partir d’un art populaire souvent marginalisé, les femmes de Noailles désobéissent symboliquement à la hiérarchie des savoirs imposée par l’État et les institutions culturelles dominantes et patriarcales. De ce fait, le fer découpé devient non seulement une source de subsistance, mais un outil de dignité, de transmission et de reconfiguration des rapports de pouvoir au sein d’une communauté marginalisée.

Melissa Béralus


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