« Le corps de ma mère » de Fawzia Zouari: Un conte des mille et une nuits à la tunisienne

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Fawzia Zouari, née au Kef, dans l’ouest de la Tunisie, en 1955, est une écrivaine et journaliste tunisienne. Elevée dans une famille musulmane stricte et traditionnelle, elle a pu néanmoins poursuivre ses études universitaires en France, jusqu’à décrocher un doctorat en littérature française et comparée à l’Université Sorbonne. Zouari vit à Paris depuis 1979, le roman épique et biographique « Le corps de ma mère » publié en 2016, est son 10ème œuvre.

Ce roman a remporté le prix des cinq continents de la francophonie 2016. Le texte qui fait 315 pages est réparti en deux livres, le livre 1 titré « Le conte de ma mère » suivi du livre 2 « l’Exil de ma mère ». Le récit « Le corps de ma mère » est précédé au début par un prologue et vers la fin par un épilogue où l’autrice exprime le contexte et les prémices qui l’ont poussée à coucher sur papier le vécu de sa mère en tant que femme et épouse derrière son voile, ses bijoux et sa mélia (robe traditionnelle tunisienne) au village de son enfance Ebba en Tunisie.

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Comment et pourquoi raconter la vie de sa mère défunte et dévoiler les secrets de sa famille au grand jour par le biais de la littérature ? Est-ce par devoir de mémoire ? Est-ce pour racheter des moments d’aveux et tranches de vies voilées par le mystère constant entourant les rapports mère-fille à la fois complexes, stricts et distants qui ont laissé un vide béant dans le cœur de l’autrice ? Zouari n’a jamais pu voir les cheveux de sa mère, jusqu’aux derniers jours où celle-ci agonise sur un lit d’hopital à l’âge de 92 ans. Zouari n’a jamais douté de l’attachement ni de la dévotion de sa mère pourtant surprotectrice envers ses enfants, mais sa personnalité prude, autoritaire et très rattachée aux valeurs conservatrices de la famille typique musulmane ont laissé très peu d’espace à des manifestations d’affections ou de rapprochements physiques spontanés et naturels entre elle et ses enfants.

La couverture du livre « Le corps de ma mère »

La narratrice du récit est de retour en Tunisie pour assister les derniers moments de sa mère Yamna qui a succombé suite à un coma. Sa mère, très active, a pourtant fait figure d’autorité dans son village à Ebba avant que ses enfants ne prennent leur envol et que son mari Farès ne meure, elle se retrouve alors dépaysée et « inutile » quand elle est venue s’installer à Tunis sous le toit de sa fille benjamine Soraya, femme au foyer devenue experte-comptable. En observant le corps de sa mère démuni et inconscient sur le lit d’hôpital, la narratrice se rend compte de toute la distance qui la séparait de sa mère. La connait-elle vraiment, son histoire, son enfance, sa vie de femme ? Celle-ci ne s’est jamais confiée à elle,  même  une fois devenue adulte et femme au foyer, partie vivre en France et devenue écrivaine. En guise de rétroaction dès le prologue l’auteure nous prévient que la décision de raconter et de  redécouvrir sa mère en couchant son récit sur papier n’a pas été facile, l’élément déclencheur a été la révolution vers janvier 2011 en Tunisie. Puis son mari qui lui avait fait voir l’évidence : « Il te faut donc une révolution pour te sentir autorisée à écrire sur elle ». Ce fut la révélation, en publiant le manuscrit 3 ans après la mort de sa mère : « Maintenant, je comprends. Ce sont les mots qu’elle m’a laissés en héritage, à son corps défendant » Et pourtant, c’est auprès de Naïma, la servante bien aimée de Yamna, dépositaire de toutes les confidences et tous les mémoires de sa patronne que la narratrice va puiser pour pouvoir reconstituer la mosaïque épique de sa mère, la principale concernée et par-delà aussi l’histoire familiale, des propos fidèlement recueillis, narrés par Yamna « entre souvenirs idéalisés et légendes familiales » et « convoquant épisodes réels, superstitions ou fantasmes dont il n’est pas aisé de faire la part ». C’est un récit digne des contes des mille et une nuits, pourtant plein de réalisme et sans filtres sans doute pour mieux maquiller l’intimité dévoilée et le rideau tiré sur les secrets inhérents à toute une famille.

C’est un récit digne des contes des mille et une nuits, pourtant plein de réalisme et sans filtres sans doute pour mieux maquiller l’intimité dévoilée et le rideau tiré sur les secrets inhérents à toute une famille. Sarita C. Pierre

On découvre par ailleurs un panel de personnages intéressants : Gadour le père de Yamna, ses frères, son demi-frère Habib, la coépouse de son père Alija qui deviendra sa rivale éternelle et les frères et sœurs de la narratrice. Le roman Le corps de ma mère s’est avéré une rencontre intéressante avec le monde arabe, les vielles coutumes et traditions d’une famille traditionnelle musulmane tunisienne.

Sarita C. Pierre


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