Travailler sur la rigidité de l’institution éducative en France est un choix qui résonne avec nos expériences individuelles et qui nous motive à explorer cette problématique à travers l’ouvrage : Chronique de l’école caserne1.
Notre choix est motivé par le besoin de savoir dans quelle mesure la violence symbolique exercée par l’institution règne sur l’autorité éducative. Dans ce sens, nous avons choisi d’étudier l’ouvrage “chronique de l’école caserne”. Un livre co-écrit par le pédagogue Jacques Pain et le psychologue Fernand Oury et publié en 1972, aux éditions Maspero qui aborde la question de la violence symbolique et légitime de l’école, pas toujours perceptible, mais qui est bel et bien présente dans sa structure, ses bâtiments, la relation pédagogique et dans son mode de fonctionnement en général.
Pain et Oury évoquent plusieurs dimensions de cette violence notamment avec la maltraitance institutionnelle de l’école qui ne prête pas à une pédagogie éducative, capable de s’adapter aux réels besoins des élèves. Les auteurs proposent également des alternatives par rapport à la rigidité de l’école, notamment pour atténuer l’ambiance rigoureuse et violente qui y règne avec les autorités éducatives.
En effet, l’école est considérée en France comme un suppôt de transmission des valeurs républicaines telles que la laïcité et la citoyenneté, un imaginaire symbolique avec lequel l’école fait partie de la subjectivation du sujet. Considérée comme un puissant agent de socialisation, elle remplit un ensemble de formalités qui permettent de cadrer les élèves dès leur plus jeune âge, tout en contribuant à la reproduction sociale.
Par exemple, le sociologue Guy Rocher (Rocher, 1992) a mobilisé le concept de socialisation pour mettre l’emphase sur le rôle des agents socialisateurs dans l’intériorisation des normes et des valeurs sociales, dépendamment de la culture et de la société dans laquelle on évolue. Pain et Oury conçoivent pour leur part l’école comme une institution violente et abusive, au moyen de la gérance, la pédagogie, l’éthique, l’imposition du respect et de son mode opératoire. Ces violences se distillent dans le contrat institutionnel et expliquent d’autres violences sociales. Afin de mieux cerner notre sujet et la thèse défendue dans Chronique de l’école caserne, nous proposons plusieurs sous-titres qui détaillent les grands points qui y sont défendus. Pour cela des références sociologiques, psychologiques et psychanalytiques seront étudiées et ces ressources bibliograohiques nous conduiront vers une réflexion finale. D’abord, nous commencerons par la gérance et la socialité à l’école, puis, nous aborderons la question de la pédagogie à l’école et l’institutionnalisation des violences à l’école. Et pour finir, notre conclusion comportera une réflexion sur l’école comme l’arrière-fond de l’histoire et vie psychique des sujets.
L’ÉCOLE CASERNE
I. La gérance et la socialité à l’école
Dans le livre “Chronique de l’école caserne” de Jacques Pain2, on constate deux caractéristiques du genre littéraire, mais il ne fournit pas un concept opératoire pour penser la pédagogie institutionnelle. Plutôt, il nous décrit l’influence positive de l’école moderne et la critique de l’école caserne, toutes les deux sont liées, par exemple les effets de la pédagogie traditionnelle qui donne l’élan à la construction de la pédagogie moderne, les études faites dans la seconde partie démontrent les effets nocifs et toxiques de la première “ école caserne”.
Jacques Pain analyse l’école comme un espace éducatif, et c’est dans cet espace qu’il cherche à comprendre la violence qui s’y exprime. Par ailleurs, la pédagogie institutionnelle ne peut se construire et se cadrer qu’en posant comme son propre repoussoir la pédagogie corrélée à l’école caserne.
Dans cet ouvrage l’auteur a évoqué la gérance dans les écoles, notamment le chef d’établissement ou le proviseur. Ce dernier joue un rôle important ou central dans les problèmes institutionnels, il fait effet sur l’ensemble de l’école et du climat collectif, sur l’atmosphère des relations et l’ambiance de l’institution notamment. Nous nous permettons de prendre un extrait de cet ouvrage parlant du 1er jour de la rentrée “ monsieur le directeur seul responsable, est fort occupé à prendre les inscriptions, il est seul habilité pour prendre contact avec les familles “ monsieur le directeur siffle, les vacances sont finies “.
En lisant cette partie, plusieurs souvenirs se sont déployés notamment autour de nos journées d’école, on se souvient quand le directeur rentrait dans la classe, régnait un silence total et on se mettait tous debout pour le saluer. On s’asseyait qu’à son ordre comme si en voyait dieu devant nous ! On évitait son regard tout le temps, peu importe que ce soit dans la cour de récréation, dans les couloirs. On avait peur de lui et pourtant on était une bonne élève et sage, bien instruite, telle comme attendu de l’institution spécialisée !
Quand on évoque le mot directeur cela veut dire “ le cadrage et contrôle de référence et de relations humaines et de contact “ mais aussi dans la classe, la maitresse attend beaucoup de l’élève ce dernier doit rester calme, doit écouter et se taire surtout autrement il sera classé dans la mauvaise case c’est à dire le “ mauvais élève” en bas âge les enfants suivent les consignes et subissent les ordres je cite “ pourquoi faut-il se mettre en rang par deux et toujours se taire ? “ enfant de 4 ans à 11ans. En lisant l’ouvrage de Jacques Pain, on constate que l’école est vue comme un milieu de “ dressage” et les enfants sont « robotisés ». On se permet de reprendre un témoignage d’un père “ il faut mettre les enfants à l’école maternelle dès que possible, à deux ans, ils sont tellement durs, maintenant les maîtresses les dressent ! “
On ressent ce besoin de mettre les enfants à l’école pour mieux se comporter, l’école est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans pendant toute cette période, l’acquisition des habitudes d’ordres et de discipline est une nécessité urgente. Par ailleurs, l’enfant pendant cette période non seulement, il subit une obligation mais aussi fait l’expérience d’un chantage affectif de la part des parents, une bonne moyenne pour faire plaisir à maman et à papa, même s’il vit aussi dans la peur de la sanction.
En classe, les élèves sont coupés du monde extérieur, de leurs intérêts actuels, assis, les bras croisés, écoutant les leçons du programme, lisant ce qui doit être lu, dictant, corrigeant les erreurs, faisant des exercices et mémorisant des textes, le maître assis à la chaise apparaît en buste et domine la foule, il sait, il enseigne, il ordonne, il juge récompense et punit.
Pour tenter d’approfondir davantage la question du sentiment de rigidité que nous observons dans l’institution éducative française, nous continuerons en abordant le point suivant qui est celui de la pédagogie à l’école. Nous avons, là aussi, pu observer une certaine rigidité à ce sujet.
II. La pédagogie à l’école
Pour commencer, la pédagogie est définie dans le dictionnaire Larousse comme “ l’ensemble des méthodes utilisées pour éduquer les enfants et les adolescents.” mais aussi comme “une pratique éducative dans un domaine déterminé : méthode d’enseignement”.
Dans son livre Chronique de l’école caserne, Jacques Pain a une réflexion assez pertinente quon’aimerait reprendre ici : “ la relation pédagogique serait-elle invariable ? Elle reste la plupart du temps identique à elle-même, frontale dit-on …”. Néanmoins, il évoque un constat flagrant : “ À moins d’un miracle, en effet, les plus mauvais élèves ne progressent pas. L’école sait encore enseigner aux élèves scolairement moyens, elle a majoritairement perdu le contact avec les vrais problèmes scolaires et la difficulté brutalement retrouvée. Dès lors, elle confond avec hypocrisie la performance, la scolarité, la personne même de l’élève …”.
Nous aimerions rester sur le fait que ce n’est qu’un simple constat … néanmoins c’est la triste réalité. C’est un sujet assez alarmant. L’école, cette institution éducative qui a pour but de transmettre les fondamentaux, former les citoyens de demain, enseigner le vivre ensemble, préparer les élèves à la vie fait malheureusement vivre à certains élèves de très fortes inégalités. Pour tenter d’approfondir ce point, nous avons eu à étudier le texte de Bourdieu3. Dans ce texte, Bourdieu nous montre que depuis des années le concept « d’élimination » perdure de manière inégale (Les fils de cadre ont une plus forte probabilité d’accéder à l’enseignement supérieur que les fils d’ouvrier). Selon lui, c’est l’héritage culturel qui diffère de chaque famille et donc des classes sociales qui est à l’origine des taux inégaux de réussite.
« Les enfants de ces classes sociales qui, faute de capital culturel, ont moins de chances que les autres de témoigner d’une réussite exceptionnelle doivent pourtant témoigner d’une réussite exceptionnelle pour accéder à l’enseignement secondaire. »
Pour que l’école change les choses, il faudrait qu’elle prenne tout d’abord connaissance de ces inégalités mais surtout qu’ils mettent en place des choses qui s’adaptent à chacun d’eux. L’école sanctionne des inégalités qu’elle seule peut réduire en aidant les élèves qui ne trouvent pas dans leur milieu familial l’incitation à la pratique culturelle. On est contraint alors de conclure à la « rigidité́ » extrême d’un ordre social qui autorise les classes sociales les plus favorisées à monopoliser l’utilisation de l’institution scolaire. Bourdieu explique que l’école facilite la réussite des élèves qui viennent des classes sociales plus cultivées mais elle complique la réussite des classes populaires avec des enseignements basés sur des pré-requis.
Ce qui nous a vraiment interpellées à ce sujet c’est le fait que de plus en plus d’enseignants avancent avec ceux qui avancent et laissent de côté ceux qui n’avancent pas. Ce phénomène s’appelle l’indifférence aux différences selon Bourdieu et Passeron. Effectivement, c’est une réalité dans les salles de classe. Nous avons chacun des souvenirs dans lesquels nous revoyons des élèves comme lésés au fond de la classe, livrés à eux-mêmes. Jacques Pain reprend dans son livre une citation d’un ou d’une élève qui montre la réalité des choses “ Il y a certains qui essayent de me faire travailler, tandis que d’autres ils me laissent en vrac au fond de la classe”4.
Nathalie Quintane, écrivaine et enseignante, dans son ouvrage « Un hamster à l’école »5, évoque la disparition de l’estrade, l’injection de pas mal de programmes dans les différents cycles scolaires, sans citer les différentes réformes du système éducatif infligées à l’école jusqu’à l’arrivée du numérique.
C’est un récit, un témoignage qui raconte l’histoire de l’institution, une institution qui se croit raisonnable. C’est une vraie traversée de critique au fond de l’éducation nationale. Cette institution, des années plus tard l’auteure arrive à la comprendre et à la décrire : c’est « l’éducation imaginaire », notamment quand elle impose des mesures, des lois et tient toujours à les appliquer à la lettre sans aucun débordement. «C’est que l’éducation nationale c’était l’imaginaire national, et bien sûr un imaginaire qui se pense rationnel…enfin, non : raisonnable. On tâche tous de tenir un milieu ; d’échapper à l’hybris. Que ça ne déborde pas.» P.55.N. Quintane. D’ailleurs c’est Nathalie Quintane qui raconte que l’école n’est pas la même, plutôt tout est différent : de son côté du 93, elle était une élève brillante, mais de l’autre côté de la butte de pinson c’est-à-dire le 95 où elle a emménagé plus tard, elle n’était plus l’élève brillante…elle ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait.
Mais plus tard tout devient clair, elle aborde ce mal à l’aise dans son premier chapitre vis-à-vis de la pédagogie à l’école en particulier le devoir spécial aménagé « adapté » censé d’être donné aux élèves scolarisés en ZEP, car ces élèves sont identifiés comme des élèves en difficultés scolaires : « Qu’il y avait d’autres endroits dans le pays où c’était pas du tout pareil où ça n’avait rien à voir, où je n’aurais rien reconnu. J’ai un ami qui est prof chez les prioritaires, c’est-à-dire les dernières roues de la charrette… ». P.7. N.Quintane.
Dans ce passage, Nathalie Quintane pointe les écoles des Zones d’éducation prioritaire (ZEP), où l’échec scolaire frappe fort les élèves issues des milieux à la dérive économique et sociale. L’école est devenue une machine à reproduire les inégalités des chances où l’origine sociale des parents est un facteur de réussite ou d’échec.
L’auteure soulève une autre question c’est celle des compétences et des évaluations. Pour évaluer les élèves, on a commencé à changer les notes par des lettres : A, B, C, D, et puis A+, B+, C+, D+, arrivant au A-, B-, C-, D-, que c’était pour moins pénaliser les élèves en particulier les élèves du bahut bourgeois « où quasi tout le monde s’en sortait bien » P.43. N. Quintane. Mais les ZEP, ce n’est qu’un lieu d’expérience différent du milieu bourgeois « Sans doute c’était à titre expérimental : y a que dans les ZEP et les établissements huppés qu’on expérimente. Pas pour les mêmes raisons. » P.43. N. Quintane.6 Et l’auteure n’avait pas tort, le processus de la politique des ZEP a été encore relancé par une autre circulaire de 1999, où on met en œuvre une politique de REP (Réseaux d’éducation prioritaire) et REP pour des écoles qui connaissaient des difficultés sociales et scolaires importantes. Mais les réformes ne s’arrêtent jamais sans qu’on cherche le vrai malaise.
L’école classée ZEP ou REP (l’institution introduit un système de classement) continue à connaître des mesures : une autre réforme voit le jour en 2006 annonce les RAR (les Réseaux ambition réussite) dû aux violences urbaines en 2005. « Le lien avec l’école, en effet, a tout de suite été fait, non seulement parce que des écoles maternelles sont incendiées, mais aussi parce que l’on constate qu’au-delà des discriminations dénoncées, du chômage condamné, il y’a aussi une remise en cause des processus de formation, d’éducation et d’insertion. » P.41. B.Robert. ”Les politiques d’éducation prioritaire”7. La question de l’appartenance sociale des élèves continue à creuser le fossé pour mieux s’imposer.
En faisant référence à Oury et Pain8, on constate une autre image de l’institution austère et dominante par ses idées pour assurer sa survie et sa continuité à travers la reproduction des inégalités des chances. Ces auteurs ont bien démontré dans leur ouvrage: l’importance de ce fossé de milieu d’enfant d’ouvrier qui a été creusé par l’institution et qui perdure d’une génération à l’autre. « Ah oui ! Ces enfants d’ouvriers…Ils ne réussissent guère…Question de milieu, vous savez…Ils ne traînent pas la rue, c’est l’essentiel, et s’ils sont bien sages, ils deviendront techniciens. “Métro, boulot, dodo, marmots” : la production est assurée, la reproduction aussi. Pourquoi s’inquiéter ? » P.25. F. Oury et J. Pain9.
L’école est un lieu pour enseigner l’éducation positive, bienveillante et non violente ; « Est-ce parce que l’école-caserne s’occupe très tôt des enfants d’ouvriers que ceux-ci, en grandissant, se hâtent d’oublier l’école ? Quelques-uns, demeurés dans le primaire, ont plus de mal à oublier… » P.19. F. Oury et J. Pain.
Ce passage souligne et soulève une autre question de l’institution, c’est la violence, le traumatisme des élèves subissant des souvenirs inoubliables, des punitions incompréhensibles de l’école caserne, autrement dit école militaire où la punition est générale. Quand un élève transgresse les règles de la discipline de l’école caserne, tous les élèves de cette classe doivent être sanctionnés. « Qu’est-ce qu’on a fait ? Du bruit dans l’escalier peut-être ? La classe est encore punie. Nous tournons, en rangs, autour de la cour, mains sur la tête et en silence… »
P.19. F. Oury et J. Pain. Comme le témoigne un parent d’élève ;
« Non je ne comprends pas ! Je me tais, je préfère fuir…, mais avant je souris à J. Marc l’indiscipliné qui a été puni parce qu’il ose répondre quand l’institutrice interroge, avant de se faire punir parce que, bientôt « éteint », il ne pourra plus répondre. » p.80. F.Oury et J.Pain.
Dans ce passage, les auteurs, ont bien souligné la souffrance d’un enfant d’une pédagogie choquante, de la maltraitance. D’une pédagogie institutionnelle violente à l’égard des enfants. Incitant à l’obéissance et à se taire. En effet dans cette école caserne le droit de la parole est quasiment inexistant et la liberté de l’expression est vouée à la perte de chaque enfant qui ose répondre à l’institution qui mène une pédagogie autoritaire.
« Le groupe scolaire urbain, l’école-caserne, est voué à la pédagogie traditionnelle, à la discipline automatique et autoritaire, à la rigidité et à la stagnation…Méthodes pédagogiques périmées et atmosphère
F. Oury souligne que l’école caserne inflige une fatigue importante aux enfants, avec ses méthodes pédagogiques archaïques, la question est bien dévoilée dans l’ouvrage, où les enfants sont fatigués, nerveux et anxieux par la volonté de réussir.
“ L’école […] fatigue surtout les enfants déjà nerveux dont la sensibilité vibre trop intensément, qui se font scrupule de faire la totalité de ce qu’on leur demande, ou bien qui sont ambitieux de réussir, ou bien encore qui sont anxieux des résultats.” P. 115. F.Oury et J. Pain.
Dr J.Oury soulève la même question dans le même ouvrage de F. Oury et J. Pain en parlant de la nocivité de la classe, dans un milieu qui doit être un lieu propice et bénéfique et non fatal, où les enfants travaillent dans des conditions néfastes et dans un climat qui nuit à leur santé : « C’est tout de même curieux qu’une classe apparaisse bien souvent comme un milieu très nocif.» Dr. J. Oury.
Les classes de perfectionnements, qui relèvent de l’enseignement spécialisé, ce n’est pas un cas isolé car ces classes reflètent un autre visage de l’école caserne, identique mais plus maléfique. Par la violence, à la préparation des enfants fortement inadaptés avec des troubles plus lourds. Une école, un enseignement spécial considéré comme un endroit pour accompagner les enfants dans leurs troubles et pondérer leurs déficiences. Mais dans les classes de perfectionnements, les enfants sont traités par tous les noms : fous, débiles, anormaux et arriérés.
« Il est bien dommage que les classes de perfectionnements ne soient pas mieux isolées des réalités de l’école-caserne…La « classe des fous », comme on dit gentiment, nous apporte peu à peu une autre certitude : bon nombre de troubles- et non des moindres –sont réactionnels au milieu école-caserne. L’école urbaine souligne et aggrave les déficiences que, selon certains, elle est censée compenser. » P.23. F. Oury et J. Pain.
Les enfants dans l’école caserne connaissent la scolarité dans des bâtiments, d’une architecture gigantesque. Entasser les uns sur les autres, des classes dont l’effectif relève de l’incroyable. Ce que dénonce le livre de F. Oury et J. Pain. « Puis on retrouve la réalité : les gosses entassés. Cet entassement, apparemment, ne gêne pas grand monde » P.21. F. Oury et J. Pain. Cette réalité, on la retrouve aussi dans un autre ouvrage, L’école, le désir et la loi de Fernand Oury et La pédagogie institutionnelle, ouvrage de Raymond Bénévent et Claude Mouchet.
Les auteurs démasquent l’école caserne par la réalité de scolariser un nombre important d’enfants dans des classes dont l’effectif dépasse les normes et une pédagogie choquante, provocante et discriminante vis-à-vis des enfants pour éviter le bruit. Un enseignant, l’auteur de ce témoignage cité en dessous, souhaitait l’immatriculation des enfants pour pouvoir faciliter la surveillance, la tenir par peur de s’échapper au contrôle et puis générer les interdits.
« L’école caserne de la ville, où l’on entasse les enfants comme de jeunes recrues ne peut avoir qu’une discipline de caserne. Pour peu que cela continue, on donnera aux enfants une plaque matricule qu’ils porteront au cou. Ce sera plus facile pour retrouver les délinquants au fichier du directeur. » P.89. R. Bénévent et C. Mouchet.
Dans une visite à un établissement Parisien, C. Freinet décrivait la cour de cet établissement à une fosse aux ours, une métaphore animale qui régnait et prédominait la description de l’école caserne. « De la fenêtre d’un premier étage, mon regard plongeait sur la cour : une véritable fosse aux ours, de peut-être 20 à 30 m de long, entourée de très hauts murs. Deux platanes qui survivent par miracle ; au fond des cabinets classiques et, là-dedans, parmi une masse d’enfants courant, gesticulant et criant, deux instituteurs de surveillance dans la fosse aux ours. » P. 89. R. Bénévet et C. Mouchet.
Le texte de Witold Gombrowicy (1937), est un extrait de l’ouvrage intitulé Ferdydurke étudié lors d’une première séance, le 21/09/2022 au cours de Madame Mej Hilbold dans son séminaire : Cliniques des pratiques et des institutions11. C’est un texte qui se rejoint aux autres textes abordés dans ce rendu final, il révèle cette réalité d’une institution austère, imposante et qui entrave la liberté de l’expression des enfants. Dans le texte, on remarque que l’élève était dans une « confession naïve », qui est un « malentendu massif » il n’a pas conscience du poids de sa réflexion, mais l’enseignant le forçait à suivre sa réflexion.
L’élève doit exécuter la consigne, il doit être enthousiasmé. L’élève une fois encore il doit deviner le désir et l’opinion de son professeur. L’enseignant ne demande pas un savoir mais un ressenti, est ce que l’institution peut imposer un ressenti ? Est-ce son rôle ?
Le texte est un dialogue, où on sent une certaine opposition entre enseignant et élève, une nervosité chez l’enseignant et un stress qui envahit l’élève. Une perception du pouvoir et une négociation permanente pour réaliser un seul objectif : faire dominer la culture sans se soucier de l’épanouissement de l’enfant. Une institution hermétique, une impression que lui seul détient la culture légitime. Jusqu’où va l’institution ?
L’INSTITUTIONNALISATION DE L’ÉCOLE ET LES VIOLENCES QUI EN RÉSULTENT : ENTRE LA PROTECTION ET LA
VIOLENCE INVISIBLE
I. L ’école comme institution selon Émile Durkheim (1858 – 1917)
Au sens large, l’école assure deux missions majeures : l’instruction et la socialisation. De ce fait, l’instruction se traduit par la transmission des savoirs, l’éducation visant à former le futur Homme citoyen par l’assurance des cours et le suivi des programmes académiques personnalisés qui dépendent de chaque niveau et chaque filière. Cela est dispensé pour permettre à l’élève de forger sa raison, son esprit critique et sa conscience. Pour l’évaluation de ces savoirs c’est l’égalité des résultats qui est demandée.
L’école délivre par la suite des diplômes et des notes selon l’ordre de mérite pour faciliter l’accès au marché de travail. Cette instruction est régie par un modèle social ; le classement des enseignements, des savoirs et des idées transmises est au cœur d’un imaginaire collectif des différents acteurs sociaux12. Nous pouvons dire alors que l’instruction comme rôle constitue la réalité matérielle de l’école, un rôle concret qu’on connaît tous et toutes.
Mais cette dernière a aussi une réalité immatérielle, une réalité impensable et imprégnée ainsi que non visible du fait qu’elle est, comme institution, le lieu où les normes se perpétuent, s’alimentent et s’incarnent. Au sein de cette institution se développe un registre culturel et symbolique qui relève, selon Dominique Grootaers, chercheur français sur l’enseignement technique, des représentations sociales qui sont à leur tour des reproductions intériorisées dans la conscience à la fois de la personne et de la société13.
Le registre culturel auquel D. Grootaers fait référence dans son article sur “Les trois rôles sociaux de l’institution scolaire, un imaginaire commun” désigne le deuxième rôle de l’école qui est la socialisation. À travers cette socialisation se forment les attentes des uns vis- à-vis des autres, se déterminent également les attentes des enseignants vis-à-vis des élèves et vice versa. Ce deuxième rôle est aussi un lieu où se structurent les priorités des responsables, des supérieurs et des enseignants afin de déterminer les missions sociales de l’école. Il ne s’agit pas dans ce cas de l’instruction, ou de permettre à l’individu de forger sa personnalité, ses idées et ses ressources personnelles, il s’agit de définir un ‘nous’, un ‘nous’ qui accepte les différences, un ‘nous’ qui oblige l’individu à renoncer à une partie de son identité pour pouvoir appartenir à ce ‘nous’. Ce ‘nous’ exigé par le biais de l’école sociale d’apprendre aux enfants, dès le jeune âge, d’apprendre à écouter plus que parler, d’obéir plus que de s’exprimer, de se conformer à ce que les enseignants et les supérieurs disent et de ne jamais contester. Ces deux rôles contradictoires sont aujourd’hui complémentaires au sein de l’institution de l’école14.
L’école aujourd’hui est une institution spécialisée, elle conserve ce qui existait depuis longtemps ; la transmission des savoirs tout en résistant aux changements sociaux. En tant qu’institution, elle se sent obligée de se conformer aux exigences des politiques publiques et sociales qui se développent au fil des années afin de répondre aux nouveaux besoins des nouvelles générations. Cette pression qui est sur l’école et les différents acteurs sociaux qui y font partie a pour but de favoriser l’intégration sociale des élèves en premier lieu -école primaire- en remplissant son rôle de socialisation. Émile Durkheim, sociologue français, conçoit l’école comme ‘une institution d’intégration sociale spécifique’15, cette institution a sur nous une force qu’on ne peut pas résister, il parle dans ses travaux sur l’autorité des institutions’. L’autorité morale est bien plus intense que l’autorité physique, elle inscrit l’école dans une boucle de modèles sociaux, des comportements attendus ainsi que des valeurs incarnées.
À travers cela, la conscience collective et le sens commun domine l’institutionnalisation de l’école en rendant l’esprit des élèves, des enseignants et d’autres acteurs sociaux homogènes et hétérogènes. Cela veut dire que l’école est organisée pour permettre à la société de transmettre un état mental et physique à l’élève pour atteindre une certaine homogénéité. Ainsi que, la transmission des savoirs et des valeurs de la part du groupe social d’appartenance (famille, classe sociale…) ce qui permet une certaine hétérogénéité16. Ces notions, nous les retrouvons également dans les travaux de Pitirim Sorokin, un sociologue américain qui définit l’école comme un lieu d’orientation, une mission d’orientation pour faire face aux besoins de la société et aussi une mission d’orientation idéologique. L’apprentissage scolaire permet alors une certaine reproduction des rapports de domination inculqués et naturalisés par la société. Le fait d’apprendre alors n’est pas la première et la seule mission de l’école aujourd’hui, l’appropriation de l’idéologie et l’assimilation des connaissances qui sont indispensables. Cela génère des inégalités au sein de l’école, et donc au sein de la société tout entière. Comment l’école peut être à la fois un lieu d’apprentissage et un lieu de production des inégalités ?
II. École comme génératrice et reproductrice des inégalités d’où l’invisibilité des violences : la théorie de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron
La reproduction, comme elle est théorisée par Karl Marx, philosophe et théoricien de la révolution, est une reproduction de capital, cela veut dire que l’individu a plus de chance d’exercer un métier que son père ou ses antécédents exerçaient à l’époque au lieu de changer de classe sociale ou de métier17. Ce concept était repris et étudié également par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, philosophes et sociologues, dans leur ouvrage co-écrit “La reproduction, Éléments pour une théorie du système d’enseignement18’, les deux auteurs tiennent à montrer à travers les violences symboliques exercées par l’institution scolaire la position de celle-ci. Ils montrent que cette institution d’enseignement est au cœur de la reproduction sociale du fait qu’elle pratique un “pouvoir de violence symbolique”19. Ce pouvoir force la hiérarchisation sociale au sein d’un système dédié en premier à l’apprentissage et à la transmission des savoirs. Grâce à cette théorisation, P. Bourdieu a développé plusieurs concepts expliquant celui de la violence symbolique à l’école, cette violence ne peut s’exercer que dans un champ ; qui est expliqué par P. Bourdieu comme “un espace social constitué d’agents qui occupent des positions différentes et qui sont en concurrence les uns avec les autres ; ces autres sont dotés des capitaux : capital culturel, capital économique, capital social… Chaque champ est un espace de domination et de conflits d’où le concept de domination20. Ce concept est le fil rouge des théories de Bourdieu pour expliquer les violences symboliques du fait qu’il est fondé sur la méconnaissance et la reconnaissance régit par le processus de domination.
Le capital culturel auquel nous nous intéressons ici, s’inscrit dans le système pédagogique et scolaire, cela s’explique par des actions pédagogiques, les cours, les notes, les examens, les activités extrascolaires… Ce pas pédagogique est le fait de transmettre une culture hiérarchisée aux élèves car l’école est censée dispenser que ce qui est accepté et approuvé par l’Etat. Cette culture est donc compatible avec les intérêts et les finalités des classes dominantes, ce qui reproduit de plus en plus les différences entre les groupes sociaux. Les violences symboliques sont celles qui excluent les rapports de force, sont exprimées par la communication, par le pouvoir ; le pouvoir des notes par exemple, les professeurs peuvent employer leur position de pouvoir pour faire taire la classe ‘ taisez-vous ou je fais -2 points à toute la classe’. Cet exemple illustre la violence que les élèves peuvent subir de la part des professeurs (leur silence face à leurs points). Il ne s’agit pas que des notes, mais aussi d’une introduction des nouvelles règles ‘vous avez aujourd’hui un quiz qui sera noté’ ; une violence qui vient des professeurs certes, mais ce sont des violences provenant ainsi des cadres d’autorités, notamment les directeurs généraux, les surveillants… de tout un groupe institutionnel.
Les professeurs ont généralement un capital culturel, la détention des savoirs, d’un support de cours, des notes, qui conditionnent l’avenir des élèves. Ils essayent de faire croire aux élèves que se sont des connaissances universelles, des savoirs à prendre ou à prendre, il ne faut pas débattre, désobéir, discuter ses informations. Les jeunes doivent accepter ce que le professeur, le directeur, les supérieurs disent, ils n’ont pas le droit d’avoir une opinion, un avis ou une position. Où est ce qu’elle est la liberté d’expression ? Cela se passe généralement dans les écoles et peu dans les universités du fait que les élèves ne doivent pas en prendre conscience ; le professeur doit être la seule référence culturelle universelle, une personne qu’on ne doit pas contredire. Le travail scolaire est donc une forme institutionnalisée de la pédagogie ; une forme condamnée et dominée par une hiérarchisation des connaissances, des savoirs ce qui produit, selon P. Bourdieu, un ‘arbitraire culturel’ qui incorpore l’État21.
CONCLUSION
La rédaction de ce dossier nous a permis d’aborder une pratique inculquée dans toutes les sociétés, celle de la domination. L’école comme une institution permet la propagation de cette domination ; en développant des règles, des normes et des impositions en conditionnant la trajectoire de l’élève ou de l’institué.
La construction d’un sujet s’est donnée à travers la relation de celui-ci avec son entourage ; le rapport à soi-même émerge du fait de la liaison du milieu s’assujettir au milieu à « ce que chacun fait de lui-même en faisant quelque chose en relation avec les autres’ aussi bien en faisant quelque chose avec les autres et pas contre les autres 22». Dans ce sens, nous pouvons comprendre le rôle fondamental que joue l’école dans la subjectivation d’un sujet donné. Notamment, la place qu’elle prend dans la société.
En effet, le milieu scolaire ne fait partie seulement d’une simple transmission des savoirs ou d’un capital culturel. Les effets de cette institution restent toujours collés au rapport à soi- même, ce rapport contribue à la construction de ce sujet. En accomplissant sa fonction éducative et sociale, les réglementations de l’école s’imposent aux élèves.
À travers nos recherches, nous pouvons rejoindre l’idée de Kaës affirmant que la plurifonctionnalité de l’école constitue « l’arrière-fond des sujets sur lequel s’inscrivent les mouvements de leur histoire et de leur vie psychique ». De ce fait, l’ouvrage critique de Oury et Pain nous a laissé découvrir l’importance que jouent tous les membres d’une institution ; de l’élève au directeur. Chacun parmi ces acteurs sociaux s’inscrit dans une case dans le processus de subjectivation de l’institué.
En effet, cela nous fait penser aux enjeux qu’il y a dans des relations linéales des institués qui ne donnent pas la place aux questionnements. Ainsi, le sujet est soumis à une rigidité qui se représente non seulement par la fonction de l’institution mais par les conséquences qui en résultent.
Suite à cette rigidité, Pierre Bourdieu nous a expliqué les comportements dits discriminatoires; ce sont des comportements générateurs des inégalités et des violences symboliques. En lien avec les propos de Kaës, l’institution est d’abord une formation de la société et de la culture, nous pourrions nous interroger sur ce qui sous-tend cette productivité ? Le pouvoir dominant ou la nature rigide de cette institution ?
Bibliographie
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