Conférence – débat : regard sur l’histoire et l’expression picturale des femmes d’Haïti et de la Jamaïque:

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Le Collectif Curateur Exposition (COCUREX),  association  fraîchement créée et exerçant dans le domaine du commissariat d’exposition avait, en prélude à la Journée Internationale de la Femme, proposé une conférence-débat autour du thème « Mouvement féministe et création artistique dans la caraïbe : cas D’Haïti et de la Jamaïque ».

Tenue dans les locaux du Centre d’art, le 4 mars, à Port-au-Prince, la conférence a donné la parole à deux figures familières de l’art dans la Caraïbe. Il s’agissait du docteur en histoire de l’art et Doyen de l’IERAH, Sterlin ULYSSE et la curatrice indépendante belgo-jamaïcaine Veerle Poupeye.

C’est le professeur ULYSSE qui a intervenu, le premier, à cette conférence modérée par Phillerque Hyppolite. L’historien de l’art a situé son exposé sur les thématiques féministes dans les peintures  haïtiennes, mais en particulier dans la peinture des femmes. Il a ainsi mobilisé une série d’œuvres d’artistes femmes  dont Barbara Prézeau Stephenson, Marie Hélène Cauvin, Tessa Mars, Phaidra Sterlin et Pascale Faublas pour mieux étayer ses propos.

Ces femmes, selon lui, ont fait une révolution dans la peinture féminine haïtienne qui, jusque-là, était assez pauvre en thématiques féministes. Les femmes haïtiennes ont, en effet, peint depuis toujours, leur peinture a connu des mouvements dans son histoire, mais elles n’approchaient leur sujet qu’avec un apport d’observation anthropologique, a avancé M. Ulysse. Si ce n’était Luce Tunier qui montrait déjà une certaine sensibilité féminine dans ses peintures et qui était dans un dialogue avec son modèle. Sensibilité féminine : thème que le professeur sortait avec prudence pour ne pas fâcher les féministes. « La petite fille» est la toile de Luce Tunier que Sterlin a montrée pour mieux faire comprendre ses propos par rapport au travail de cette peintre contemporaine.

Le spécialiste de l’art a également évoqué  Rose Marie Desruisseau qui, a-t-il expliqué, a ajouté une vraie personnalité dans son travail et a donné à y sentir une certaine “sensibilité” qu’elle aurait fait sienne. Les peintres femmes étaient enfermées dans un carcan.  Une femme peintre, à un moment donné,  voulait simplement dire : une femme qui est dans la pratique de l’art.

Avec des commentaires riches, le professeur a passé en revue un certain nombre d’œuvres inscrites dans des thématiques féministes où les femmes sortent de ce schéma d’observatrices pour afficher une vraie personnalité à leur travail et être dans une intimité avec le sujet. Entrer, somme toute, dans le geste pictural.

« Adamève » de Marie-Hélène Cauvin, par exemple : une peinture qui pose d’emblée le problème de genre dans la question de la culpabilité originelle dans la religion judéo-chrétienne. Dans cette œuvre, Marie Hélène Cauvin fait une sorte de partage de la culpabilité entre Adam et  Ève. Ève qui est toujours présentée comme seule à avoir la responsabilité du péché entré dans le monde.

«Mal et femelle » de Barbara Prézeau : une œuvre qui pose le problème de genre à la fois dans la thématique et dans les médiums. C’est une œuvre dans laquelle elle fait plusieurs mélanges, c’est un travail sur le genre, qui n’est ni mal ni femelle. Son œuvre « Le nu masculin »était présenté aussi. C’est une œuvre révolutionnaire, a dit Sterlin, car généralement dans la peinture haïtienne, on voit des nus de femmes faits par des hommes. C’est une œuvre assez osée où Prézeau érotise le corps masculin comme les hommes en font du corps des femmes, a conclu M. Ulysse.

« La série femmes » de Pascale Faublas  utilise les chromolithographies chrétiennes que le vodou utilise pour réfléchir sur tous les préjugés à l’encontre des femmes, sur les dictons et les proverbes les ciblant. Fanm pa dra, par exemple, fanm pa lavyèj, fanm se potomitan, etc. Sterlin a également débattu sur les différentes interprétations du vagin de Faublas, exposées au printemps de l’art  cette année.

« Men rara» de Tessa Mars est une œuvre où elle se présente avec un sextoy devant une foule de personnes, affirmant ainsi une sexualité. C’est la première fois, a dit Sterlin, qu’une artiste a osé faire ça dans la peinture haïtienne. D’autres œuvres de Tessa étaient encore montrées : « New friend » où elle assume son corps et des seins tombés, etc. Tessa Mars est une peintre autobiographique qui abode des thématiques féministes. Parlant de Tessa Mars, le spécialiste dit d’elle qu’elle est celle qui, dans la peinture haïtienne, peut dire : « je suis le sujet de mon œuvre ». « Des vierges qui pleurent »de Phaidra Sterlin : avec la femme emmaillotée, cette œuvre entend donc  signifier tous les combats que les femmes puissent mener. C’est la femme, tout en étant brimée, qui essaie de se libérer des carcans.

Le cas jamaïcain

Veerle Poupeye, qui faisait sa présentation à distance, a parlé du travail des femmes artistes et du sujet du genre dans l’art jamaïcain. D’entrée de jeu, elle assure que les femmes jouent un rôle important dans l’art en Jamaïque et qu’il y a aujourd’hui une solide parité de sexe dans ce domaine. Tout cela a commencé avec Edna Manley dans les années 1920-1930, elle est devenue une artiste très dominante dans l’histoire de l’art jamaïcain et elle a défini le modernisme nationaliste en Jamaïque. Mais il y a une disparité de race et de classe qui existe, perturbant la parité des sexes. La plupart des femmes artistes appartiennent aux classes moyennes supérieures. Beaucoup sont blanches et expatriées. Il y a aussi l’art populaire qui est fortement dominé par des hommes. Il y a un certain soutien accordé à l’art féminin en Jamaïque mais contre lequel certaines se battent, refusant d’être définies selon des critères de genre, a-t-elle expliqué.

Poupeye  a présenté des œuvres de diverses artistes qui sont confrontées au problème de classe sociale et d’identité raciale. Certaines femmes, quoiqu’importantes, n’étaient pas reconnues à cause de cela : Rhonda Jackson, par exemple et certaines œuvres  d’autres femmes ont été vandalisées. C’est le cas d’un statut d’Edna Manley, pourtant considérée comme la mère de l’art jamaïcain, a dit la spécialiste.

La Jamaïque a toujours eu des artistes femmes mais celles-ci ne sont pas reconnues dans l’histoire de l’art jamaïcain, a t-elle souligné. Cela a rapport avec la définition qu’on a attribuée à l’art, parce que le travail des femmes, a expliqué la curatrice d’exposition, n’est pas toujours le travail traditionnel et donc n’est pas toujours reconnu comme art. Par exemple, les travaux dans les céramiques traditionnelles, la broderie…

Il y a eu des changements dans les années 1970, avec plus d’activistes féministes pendant la période de la radicalisation politique et raciale en Jamaïque. C’est à partir de ce moment-là que des événements artistiques importants dont le premier Festival international d’art des femmes qui allait avoir lieu en 1978, ont facilité l’exposition d’œuvres de certaines artistes. Depuis, il y a eu plus de conscience raciale en Jamaïque mais on a toujours donné la primauté aux artistes blanches et expatriées. Il existe une meilleure conscience de la question raciale aujourd’hui et une assez grande parité dans ce domaine. Beaucoup de femmes, a dit Veerle, traitent des questions de couleur, de politique de genre et de corps genré.

Adlyne Bonhomme


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