À vingt quatre ans, Jessica Nazaire s’est éteinte ce samedi 12 Mars 2022 dans un hôpital de Port-au-Prince. La lauréate de Petro Poésie Challenge, un concours organisé par Mus’Elles autour du scandale des Fonds Petrocaribe en Septembre 2018, souffrait il y a quelque temps. Un flot de sympathies sur la toile accompagne la douleur que provoque ce décès si brusque.
Journaliste, juriste de formation, étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences Humaines, Jessica avait remporté la première place au concours Petro Poésie Challenge organisé par Mus’Elles en Septembre 2018. En Février 2019, elle avait publié son premier recueil de poésie ” Pwa grate”, aux Éditions la Rosée. Un recueil de quatre vingt pages où elle peignait ses convictions, ses positions en tant que féministe et ses défis de femme dans une société patriarchale comme la nôtre. Jessica abordait également des thématiques comme l’injustice, l’exploitation,la corruption…la mort. Ses textes fortement ancrés dans notre réalité, reflétait sa vision de nos habitudes, nos moeurs et nos pratiques. Très critique envers quelques unes de ces pratiques, la poétesse se révélait aussi très avant-gardiste sur cet élan d’hypocrisie qu’accompagne souvent les décès.
“Lanmò se zikòs leta nan tèt pèp
s on pye poudre k ap twouse rèv
nan kè pantalèt
pou landemen mache bwete
Tande non
lè vwèl mwen pran van
fè chak powèt met siyati
nan plan men m
chak grenn mo va sèvi tatou
sou zosman m
Pa fè fourenay sou non m
pou n pa kontraye kadav mwen
se pa yon nanm ki defèt n
Ni tou se pa zak malonèt
k ap fè flonn dèyè m
se leta k ap jwe bolewo ak souf mwen”, Extrait de Lòm mouri.
Jessica était une poétesse engagée. À l’édition Livres en Folie 2021, Jessica Nazaire signait: Replik. L’un des cinq meilleurs textes du concours Fanm ak gason egal ego organisé par C3 éditions en 2020 et le seul poème de l’oeuvre collective ” C’est une femme qui parle”. Aux côtés de 4 jeunes auteures de la même génération; Pedjean Esther Constantin, Magdala Louis, Miselène Jean et Emmanuella Dérissaint, Jessica dénonçait les violences que subissent quotidiennement les femmes et prônait l’égalité des droits. Écrit en prose, Replik, est un poème très descriptif. Les figures de style peuplent le texte et chaque strophe est un coup de poing bien envoyé aux organisations des Droits de l’Homme, au système patriarchal et aussi à tous celleux qui prennent la journée internationale des droits de la femme pour en faire une journée de fête. Situation récurrente qui selon la prose de la poètesse n’est que feinte et simulacre.
“Depi mas pwente
Lavi ban n bon jan
Fanm tounen liy editoryal tout powèm
Tout sikatris sou do n pouse flè
Poutan diskriminasyon chèf kanbiz
Fènwa kwè pou l selèb
Fòk limyè bay etensèl li do
Fòk silans nou bwè pwa
Alòske
Manti pa gen pasyans
Souvni nou jwe di
Kilè n ap konprann
Dwa moun fratènèl
Se menm risk yo ki dòlote n
Nou drive menm batman
Kilè n ap konprann fanm ak gason
Se elikibib patisyon ki akòde melodi tan an
Fwontyè ki separe n
Se lanmò ak lavi
Nou pyete jou yo ak menm rit feblès”, extrait Replik.
Vague de sympathies sur la toile
La nouvelle du décès de Jessica Nazaire a ébranlé les réseaux sociaux particulièrement Facebook. Pendant toute la soirée du samedi 12 Mars 2022 et jusqu’à aujourd’hui, des extraits de ses poèmes sont partargés des centaines de fois et des internautes ont commencé à lui rendre hommage à travers des témoignages et des dédicaces. Voici quelques réactions:
“À Port-Au-Prince
À Jacmel
Ou à Lomé
Les poètes meurent aujourd’hui
de la même façon…
De trop de rêves
Et de trop de talents
Dans un siècle qui court plus vite que les mots
Lis-moi le dernier poème
Que tu écrivais encore
Sur ton Haïti-Colère
Mais que tu aimes malgré tout” Kalbesh Kutsonya, en mémoire de Jessica Nazaire.
“J’ai lu des éclats de vers
Brodés de deuil
et des consonnes dissonants
Dans le creux de tes yeux
Ton nom familier posé délicatement sur la marge de mon écran” Jeanie Bogart
Sherbrooke, le 12 mars 2022.
” Pwezi w yo san parèy. Map reli e reli yo pou kenbe memwa w byen vivan. Vole lwen. Ale an pè powèt”, Ederson Simphat
Tout aussi affectée par ce décès, l’équipe de Mus’Elles se souviendra encore longtemps de cette jeune poétesse dont la plume se voulait engagée , si.. Elle, Jessica. Et comme Rodney Saint-Éloi, dans son receuil à Jacques Roche ” Jacques Roche. Je t’écris, cette lettre” lui demandait si les couleurs sont chaudes ou froides à l’éternité des soleils; Jessica dis-nous si tes vers de là-haut ou de là-bas, guident tes pas? Dis-nous si l’encre de ta plume t’habille? Dis-nous que si tes yeux se ferment aujourd’hui; ton verbe pourtant ne t’a point quitté. Quel poème emportes-tu pour la traversée?
Jessie Lisa A.R TATAILLE