Rosalie L’infâme de Evelyne TROUILLOT

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Si vous avez suivi les cours les plus rudimentaires de littérature haïtienne, vous avez dû apprendre que la littérature du lendemain de l’indépendance était une littérature, caractérisée principalement par un éloge des plus mérités des procédés littéraires français et des héros de l’indépendance ainsi que de la liberté nouvellement acquise et de l’importance de rester vigilant.e, afin de combattre toute tentative de reconquête de l’ennemi.

Cependant dans le panorama des oeuvres de la littérature haïtienne que retiendra l’histoire, en plus de noter que c’est avant tout à la poésie qu’est accordée une grande place, fort est de constater que les héros loués dans les poèmes qui nous parviennent sont des hommes.

Avant de rouler des yeux et de dire que là n’est pas la question, qu’il ne faut pas voir dans ce fait une tentative de tuer la mémoire et l’apport des femmes à la révolution et à la construction de la nation haïtienne, il faut retenir qu’une entreprise qui rend grâce aux faits d’armes des membres de l’armée indigène se doit de rendre grâce de même à tous ceux qui constituaient cette dite armée. Cette remarque n’enlevant rien au mérite des hommes dont s’inspirent les poèmes dont nous parlons.

La littérature des premiers jours et celle d’aujourd’hui encore n’a eu de cesse de garder dans la mémoire collective, la force, le courage et la determination de nos héros réels comme fictifs. Combien de poèmes n’a t-on pas lu, nous racontant les exploits de Dessalines, père de la nation, de Christophe et de Capois? En est il de même pour marie Jeanne ou de Sanite Belair?
Nous pourrons aussi parler des figures comme les nègres marons qui sont autant de figures de la révolution, trouvant leur place quoique petite dans la littérature haïtienne.

Il serait possible de continuer encore longtemps sur le traitement des personnages féminins, particulierement les figures héroïques dans la littérature haïtienne, mais à un moment il faut parler du texte qui nous intéresse aujourd’hui et ce dernier est le roman « Rosalie l’infâme » de l’écrivaine Evelyne Trouillot.

Avant tout, le style; Rosalie l’infâme est écrit dans une langue très poétique avec des passages où le lyrisme est d’une grande beauté.
Vincent est là soudain, solide et sûr, pétri de terre brune et rocailleuse où j’enfouis mes larmes. Tout est dit : les flammes, les cris, la peur, l’angoisse, la honte, l’outrage, la colère et la rage. Je laisse mes doigts refaire connaissance avec ses bras, lianes mystérieuses et puissantes, avec chaque marque, chaque étampe sur sa poitrine… (extrait)

C’était une femme de trente ans environ, tranquille et résolue, jamais à se plaindre. Elle portait son rêve dans ses yeux. Un rêve à deux branches étroitement enlacées : avoir un enfant et être libre. Sa dernière tentative de fuite lui avait coûté non seulement une oreille mais aussi son bébé. Elle portait les marques des dogues sur ses mollets. Le père de son enfant s’était sauvé et sans doute voulait-elle le rejoindre. Mais je crois que son besoin de liberté n’était lié à aucun homme, elle ne pouvait tout simplement pas respirer dans l’esclavage… (extrait)

La narration se passe en deux temps. Pour garder le rythme, un peu comme dans un film d’immersion, l’auteure place le second temps de natation dans la bouche d’un des personnages principaux. C’est à travers elle, Grann Charlotte, qu’on vit et qu’on en apprend un peu plus sur la captivité, sur les barracons, et sur la traversée. Une grande tension est concentrée sur les barracons, qui rythme une grande partie de la première moitié du livre. L’expérience est tellement horrible qu’il faut attendre, encore et toujours avant que enfin; Grann Charlotte trouve le courage de la raconter. C’est ce que les théoriciens appellent la Tension narrative. Puis vient le bateau qui, un peu à l’image de la perle dans le livre éponyme de Steinbeck, est presque un personnage à part entière. La première chose est qu’il est nommé et caractérisé comme tout autre personnage du livre. Ce nom c’est La Rosalie, son caractère c’est qu’il est infâme. Chaque fois qu’il reviendra dans la bouche des personnages, ce sera en ces termes.

En second lieu, ce qu’il faut impérativement retenir de ce roman sont, les choix de narration: ce roman parle de résistance, s’il évoque bois caïman, s’il évoque l’empoisonnement qui était monnaie courante durant la période coloniale, il parle surtout et avant tout de la résistance muette. Le maronnage des femmes, l’avortement et le parricide. En effet, l’histoire derrière Rosalie l’infâme est l’histoire d’une femme qui a combattu l’esclavage en évitant à des enfants à devoir un jour servir autre chose qu’eux même et la liberté que cela suppose. Lisette; le personnage prétexte décide de fuir vers les hauteurs où elle accouchera de son enfant afin que lui, à la différence d’elle connaisse la liberté.

Ce texte, en plus d’être un travail de mémoire et un acte politique dans le propos qu’il raconte, installe les femmes et leur résistance dans le combat pour la liberté. Il parle de l’usage de leur corps dans des formes de résistance qui malheureusement encore, restent dans le cadre des: petites histoires (avortement, suicide, parricide) ; il rend aussi hommage à toutes ces femmes qui ont offert la seule liberté qu’elles pouvait à leur descendance: celle de la mort.
Pour finir, ce texte est à lire en miroir avec le livre Beloved de Tony Morrisson. Les deux replacent la femme comme sujet dans la bataille pour la liberté.


Melissa Béralus


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