L’histoire de l’art haïtienne est longue et extrêmement riche. Elle est traversée par plusieurs courants menée par des artistes non seulement très prolifiques, mais aussi particulièrement importants dans la représentation du pays et l’illustration de son imaginaire collectif. Tout cela, à travers une série d’œuvres complexes et originales. Cependant, comme pour la littérature, les créatrices femmes sont moins visibilisées que leurs homologues masculins. Ce qui tend à accélérer leur tombée dans l’oubli et l’absence de leurs travaux du champs des études culturelles et iconographiques haïtiennes. Ce phénomène est d’autant plus regrettable que la professionnalisation des femmes dans les métiers artistiques représente un véritable enjeu de développement et d’autonomisation de ces dernières dans un contexte où elles sont doublement victimes de la situation en Haïti. D’après les chiffres disponibles sur le site du Ministère de la culture, le fer découpé représentait dans les années 2010 le produit artisanal et culturel le plus vendu et de ce fait, la plus grande source de revenus de ce secteur pour Haïti. Cela révèle l’énorme potentiel économique de la création plastiques pour les artistes.
Au-delà de l’aspect financier, visibiliser le travail des artistes femmes c’est lever le voile sur une partie de l’histoire de l’art haïtien en décentrant le masculin neutre. En effet, l’expérience sexué en art plastique est importante pour comprendre non seulement les dynamiques sociales des époques dans lesquelles les œuvres ont été produites, mais servent aussi à produire un savoir académique plus proche de la réalité de la société haïtienne. L’expérience sensible des femmes est aussi importante que celle des hommes et nous éclaire sur une partie de notre patrimoine. Cet éclairage nous permet de comprendre comment la moitié de la population a activement participé à la construction du savoir-faire, des pratiques et des croyances qui constituent la culture haïtienne contemporaine. Cette dernière comme le rappellent les chercheuses et les chercheurs en Sciences humaines constitue un socle identitaire commun au même titre que la langue et permet la cohésion sociale du peuple haïtien et l’entretien du sentiment d’appartenance. Ce dernier permet l’appel à des émotions comme l’empathie qui, comme le rappelle la penseuse féministe Chowra Makaremi, est un outil politique majeur.
En outre, les artistes femmes jouent un rôle déterminant dans la transmission intergénérationnelle des savoirs et des traditions. Elles participent activement à la préservation de la mémoire collective par le biais de leurs créations. De plus, là où certains artistes masculins tendent via le male gaze à folkloriser ou à exotiser la représentation du corps féminin et de l’intime dans leur travail, les artistes femmes elles, les réinterprètent à travers une perspective réappropriation symbolique plus situé. Elles font du corps féminin un territoire de dignité, de mémoire et de pouvoir, en rupture avec la tradition patriarcale dominante. Ce renversement esthétique est fondamental dans la relecture inclusive de l’art haïtien, puisqu’il interroge la place du sujet féminin dans la création et dans la société.
Enfin, la mise en lumière des artistes haïtiennes appelle à une véritable politique culturelle inclusive. Les institutions publiques, les écoles d’art, les musées et les galeries doivent reconnaître l’importance d’une représentation équitable des femmes dans leurs programmations et leurs archives. L’absence de ces créatrices dans les collections nationales ou dans les grandes expositions internationales traduit un biais systémique qui freine la reconnaissance de leur travail et leur accès aux opportunités économiques. Soutenir les artistes femmes, c’est aussi investir dans la diversité esthétique et intellectuelle d’Haïti, dans une vision plurielle de sa modernité.
Melissa Béralus

