Violences sexuelles et handicap en Haïti : IDEH plaide pour une prise en charge multidimensionnelle

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« L’approche en droits humains que nous priorisons dans nos interventions, inclut le droit à la vie, à la sûreté et à l’intégrité de la personne humaine. » Esther Randiche, présidente de IDEH

L’Initiative pour un développement équitable en Haïti (IDEH), une association à vocation féministe s’est attelée depuis tantôt 8 ans à fournir des appuis spécifiques aux femmes victimes de violence. L’association soutient et intègre une prise en charge multidimensionnelle des violences faites aux femmes et aux filles, notamment aux femmes handicapées et axe ses multiples interventions autour de cette approche.

En Haïti, le 15 et 16 février 2018, a été soumis à un examen du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies et il a été conclu qu’il y avait des risques élevés pour le droit à la vie des personnes handicapées. Déclaration très inquiétante, en tenant compte qu’en 2016, trois (3) femmes souffrant d’une déficience auditive ont été « sauvagement » tuées. La population les a prises pour des « sorcières ». Pourtant, les personnes souffrant d’une déficience quelconque en Haïti représentent près de 800.000 personnes, soit 10% de la population et ce chiffre date d’avant le tremblement de terre du 12 janvier 2010. La majorité d’entre elles ne bénéficient pas de la jouissance intégrale de leurs droits, retrouve-t-on dans reliefweb. Aussi,  37% des femmes et filles sont exposées à une forme de violence physique et/ou sexuelle au cours de leur vie et sept (7) femmes sur dix (10) sont victimes d’abus dans le pays, peut-on lire sur  les sites des nations-unies En ce sens, mettre le curseur sur les discriminations  subies par les femmes handicapées en Haïti, c’est aborder d’emblée la question de la marginalisation de ces femmes dans le processus de prise en charge dans ce secteur.

Les femmes handicapées subissent dix (10) fois plus de violences sexuelles que les femmes « valides ». Il devient alors impératif pour les professionnelles de IDEH, de sensibiliser sur les violences faites aux femmes et aux filles handicapées, car trop souvent banalisées et invisibilisées. Et le tabou qui entoure la dénonciation des violences faites à ces femmes, parce qu’elles sont handicapées.

Manques d’accès aux besoins spécifiques des femmes handicapées

La question de la santé sexuelle et reproductive a toujours figuré parmi les préoccupations chez les femmes. Car elles sont directement concernées par la maternité et la mortalité maternelle. « [Mais] l’accès à une méthode contraceptive est beaucoup plus difficile pour une femme qui souffre d’une mobilité réduite par exemple », estime Katia Jean-Louis, travailleuse sociale. Ce serait beaucoup plus compliqué pour elle de se déplacer pour aller à la FOSREF ou la VDH pour obtenir des informations et méthodes contraceptives pour l’aider à se protéger. Mais il y a également « le regard discriminant de la société par rapport aux femmes handicapées », ajoute Katia Jean-Louis.

D’après les professionnelles de l’IDEH, les femmes handicapées sont souvent considérées comme des personnes asexuelles, n’ayant aucun désir. Ou bien si elles sont violentées, c’est une faveur que leurs agresseurs leur rendent puisque personne ne devrait vouloir les aimer, les désirer. Les discriminations typiques peuvent être plus violentes pour ces femmes, surtout quand une femme handicapée a une orientation sexuelle qui défie la norme. Ces individus sont souvent victimes de discours dégradants et discriminatoires dans le pays.

IDEH pour une prise en charge multidimensionnelle

L’IDEH  s’appuie, dans sa prise en charge intégrée des violences sexuelles, sur la théorie de l’intersectionnalité de Kimberlé Williams Crenshaw. Cette dernière, une juriste américaine  née en 1959 à Canton , elle est aussi une féministe majeure de la « Critical Race Theory ». Elle est connue pour avoir développé le concept d’intersectionnalité qui désigne « la situation d’une personne qui regroupe des caractéristiques raciales, sexuelles et spirituelles qui lui font cumuler plusieurs handicaps sociaux et en font la victime de différentes formes de discriminations » (Crenshaw, 1991). Ce concept permet de comprendre que toutes les femmes ne vivent pas les discriminations de la même façon, et qu’il y a des femmes qui sont plus discriminées que d’autres. Et, d’après Madame Esther Randiche, Présidente de l’IDEH « Comprendre les besoins spécifiques des femmes peut aider à satisfaire et traiter de façon particulière la prise en charge intégrée de ces femmes ». L’IDEH par le biais de son ancienne directrice exécutive, feue Claudine Saintal, continue de porter une attention particulière aux femmes en situation de handicap. D’où, « la création d’un champ d’action « Genre et handicap » au sein de l’association, indique Esther Randiche. Selon cette dernière, « l’approche en droits humains que nous avons dans nos interventions, inclut le droit à la vie, la sûreté, à l’intégrité de la personne humaine. Et englobe tout l’aspect économique, social, juridique et politique de la personne ». Depuis 2014, le chantier est ouvert, avec beaucoup de séances de sensibilisation, de plaidoyer auprès du secteur genre pour prendre en compte aussi des femmes handicapées, d’un côté. Et de l’autre côté, il y a le renforcement des femmes en situation de handicap pour défendre leurs droits, se protéger elles-mêmes, prendre la parole dans le secteur, être capables de développer leur leadership et participer au processus de prise en charge des violences dont elles sont souvent victimes.

Renforcement organisationnel

Toujours dans l’idée d’une prise en charge multidimensionnelle des femmes en situation de handicap, l’IDEH travaille avec les organisations de femmes et les organisations des personnes handicapées. L’une doit intégrer dans son approche d’intervention, les discriminations basées sur le handicap, l’autre les discriminations basées sur le genre. « Je pense que c’était une chose très intéressante, parce qu’avant il y avait une confusion, estime Bernathane Aristide, employée de l’IDEH. Selon elle, « si une femme handicapée est victime de violence, elle est allée voir une organisation de femmes, elles lui diront d’aller chez une organisation qui gère le cas des personnes handicapées ». Ce manque dans la prise en charge des organisations de femmes se retrouve aussi même dans l’accessibilité et la façon dont elles reçoivent les victimes. Souvent, rien en termes d’espace, par exemple au sein des institutions de prise en charge il n’y a pas souvent de rampe pour les personnes en fauteuil roulant ou des indications en brailles sur les sorties et les entrées. En outre, on peut remarquer aussi qu’il n’y a rien en termes de personnel· le disponible formé·e pour accompagner les personnes handicapées, comme une traductrice en langue des signes.

Au terme de cette réflexion, les membres de l’IDEH rendent un vibrant hommage aux différentes institutions, associations et organisations qui accueillent et accompagnent les femmes handicapées, doublement exposées au risque de violences sexuelles dans le pays. Ces femmes saluent l’engagement et l’implication de tous les acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes handicapées. Elles estiment que la stagnation de leurs moyens représente un défi majeur pour l’accomplissement de leur mission, sans compter les besoins accrus dans le contexte de la libération difficile de la parole des victimes en Haïti. Elles appellent en ce sens les instances compétentes à inscrire le handicap parmi leurs priorités et dans les politiques publiques en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles.

Equipe de Mus’Elles


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