Témoignage d’Edithe Toussaint, victime des derniers affrontements entre gangs, à Cité Soleil

Spread the love

La guerre des gangs fragilise encore plus la situation des femmes des quartiers populaires, c’est le constat de plusieurs défenseurs des droits humains, dont la feministe et professeur d’université Sabine Lamour.

Cette fragilisation s’illustre de diverses façons, la plupart, lors des affrontements armés doivent quitter leurs maisons et se retrouvent souvent dans des sites aménagés rapidement pour les recevoir comme ce fut le cas à Clercine, au lendemain des affrontements qui ont eu lieu en plaine durant le mois d’avril 2022.

Pour d’autres, en particulier les femmes enceintes, en plus d’un déplacement forcé, cette situation les laissent livrés à elles mêmes. Tel est le cas d’ Edithe Toussaint, ancienne habitante de Cité Soleil qui a du quitter la sa résidence en toute hâte après l’assassinat de son conjoint.

Il est 2h de l’après- midi, nous sommes le 1 septembre 2022. Le regard vide, les joues creuses, Edithe Toussaint enceinte de 7 mois et demie revient d’une visite chez le médecin. Sans prescriptions en main, elle tient malgré tout un flacon contenant des vitamines. 

Il ne s’agit pas d’un vrai médecin confie t-elle, mais d’une interne de l’ Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, plus communément appelé Hôpital général qui habite dans le voisinage de sa soeur à Delmas 3, où elle a trouvé refuge depuis l’assassinat de son mari à Cité soleil, lors des derniers afrontements armés.

« J’ai 34 ans, j’habite dans la cité depuis que je suis enfant. je suis originaire de Jérémie, quand mes parents sont venus s’installer à la capitale, la cité s’appelait Cité Simone, en l’honeur de la femme du président Jean claude Duvalier. »

La jeune femme qui attend son premier enfant, a vécu la mort de son mari, assissiné d’une bale, puis brulé avec plusieurs autres hommes pendant le mois de juillet. Deux semaines durant, du 7 au 17 juillet, la guerre opposant les groupes armés G Pèp et G 9 a fait rage, tuant plus de 300 personnes d’après un rapport du Réseau national des Droits humains le RNDDH, paru le 16 août 2022.

Hommes, femmes et enfants furent victimes de la situation, qui avait aussi causé le déplacement en masse de plusieurs personnes dont plus de 500 enfants dans différents centres d’accueil coordonnés par l’organisation évangélique Fanmi Kizito.

Rescapé de justesse, c’est pendant une pause éphémère des affrontements que Toussaint a abandonné les ruines de la maison qu’elle louait avec son compagnon dans la cité, n’emportant avec elle que les vêtements qu’elle portait.

“Avant les affrontements, je faisais quelques préparations pour la venue du bébé. Mon conjoint avait mis un peu d’argent de côté et ensemble nous participions à un sol* afin d’avoir un peu d’argent une fois le bebe né. Nous étions les derniers sur la liste.”, se souvient-elle.

À 5000 gds le mois la jeune femme et son conjoint prévoyaient de toucher la somme de 50000 gourdes. Une partie de son loyer figurait aussi dans ce projet, aujourd’hui mort avec son mari.

Pas la première dans cette situation, une amie de la victime qui a quitté la zone en même temps qu’elle et qui a souhaité garder l’anonymat, a dû se mettre rapidement en ménage avec un homme qu’elle connaissait à peine tout de suite apres l’assassinat de son propre conjoint.

« Je suis une femme seule sans logement, sans hommes pour m’aider, je ne pouvais pas me permettre de rester dans la cité. J’ai rencontré J quand je suis allé vivre chez des amis en plaine, il habitait dans une cour avec la mère de son enfant et de la famille, je lui ai rapidement fait comprendre que si nous sortions ensemble il fallait qu’il prenne soin de moi.

En effet, tour à tour marchande de produits de lavage, elle a exercé ce métier comme vendeuse assise à la cité quelques mois, avant de devenir marchande ambulante.

Désespérée, sa grossesse arrivée presqu’à terme, c’est une solution que Toussaint reconnaît envisager, la seule différence, elle est enceinte et aucun homme ne veut d’elle dans cet état. “Je connais d’autres femmes qui ont quitté la cité et qui travaillent dans la rue aujourd’hui, je ne peux pas me résigner à faire ce travail, si je pouvais commencer un commerce, ce serait bien car j’en ai l’habitude.”

« Au début de ma grossesse, je continuais de marcher avec ma cuvette sur la tête, j’ai arrêté quand je n’avais plus rien à vendre, mais si cela dépendait de moi je continuerais encore à vendre mes affaires.

Dre Sabine Lamour reconnaît, dans le cadre d’un entretien qu’elle nous a accordé, qu’il est courant que certaines femmes deviennent prostituées afin de subvenir à leurs besoins, doublement victimes de la situation. La variable des conséquences que cause la perte de leurs conjoint pour certaines, reste encore aujourd’hui peu prise en compte, d’après elle.

Dans la maison où elle à trouvé refuge, Toussaint dort à même le sol sur un amoncellement de draps. Elle reste silencieuse face aux interrogations sur son enfant à venir. Face à l’avenir, sa seule certitude est un projet à long terme: celui de laisser le pays en direction de la République dominicaine dès qu’elle en aura l’occasion. C’est déjà le projet de sa sœur, qui a envoyé en terre voisine ses deux enfants, une jeune fille de 18 ans, et un jeune homme de 14 ans, dès la fermeture des classes en juin 2020, sans laisser la chance à sa fille de passer son baccalauréat.

Melissa Béralus


Spread the love

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *