Tafa Mi-Soleil dit le viol à travers une performance artistique haute en couleur

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Dans le cadre des activités réalisées en amont de la 5e édition du festival féministe Négès Mawon, Tafa Mi-Soleil, a exécuté, le mardi 19 juillet 2022, au Centre d’art, une poignante performance du roman de Souad Labbize , « Enjamber la flaque ou se reflète l’enfer, dire le viol », qui fait echo au viol, et au déni de viol. Retour sur cette performance bouleversante.

 

Il est deux 2h passées d’une bonne quinzaine de minutes. Un peu partout sur la cour du Centre d’art, des groupes d’ami-e-s papotent et donnent leur avis sur les différents tableaux exposés dans l’espace. Les féru-e-s d’art et de création ont déjà fait le tour du Centre d’art où le vernissage de l’exposition Miwa Fanm s’est effectué quelques minutes plus tôt, qui a été été suivi par un échange avec les artistes.

 

Anne Vixamar, Naïka Sephora Aurélus, Mia Estimé, Dashka Charlemagne, Leïka Destiné, Francesca Guillaume sont les six jeunes femmes qui ont eu l’opportunité de créer et d’exposer leur tableaux au Centre d’art dans le cadre ce vernissage.

 

Dans l’univers musical, Tafa Mi-Soleil est très adulée pour son talent. mais peu de gens savaient que l’artiste s’intéressait à d’autres genres artistiques tels que le théâtre, la mode et la peinture. L’ancienne élève de l’école de théâtre à Gaëlle Bien-Aimé, Acte, est apparue sur scène topless, avec pour tout habit, un bas en nylon couleur chair, des cache-tétons et de la peinture violet étalée sur son torse. Pratiquement en transe, elle s’apprête à incarner à travers son spectacle le vécu de bon nombre « d’écorchées vives », de victimes de violences sexuelles.

 

La foule en émoi. Même si l’affiche annonçant le spectacle le laissait entendre, plus d’un ne s’attendaient visiblement pas à la voir matérialiser toute la douleur qu’engendrent le viol, son déni, la culpabilité et l’innocence dans une prestation aussi électrique. Les regards ébahis, des mimiques excitées, une attention des plus soutenues pouvaient être remarqués.

 

L’artiste prend les spectateur-ice-s par la gorge et les entraîne avec elle à travers un tourbillon d’émotion. Elle peint l’enfer qu’est le monde patriarcal, générateur de violences sexistes et sexuelles. Ce monde qui sexualise les fillettes, où les pédocriminels ne sont pas suffisamment punis pour leurs forfaits. Tafa incarne une femme qui a été violée quand elle était enfant. La fillette en elle n’est pas guérie puisqu’elle n’a jamais eu le temps de panser ses blessures. La jeune femme fait un bond dans son passé, remonte dans son enfance et raconte le drame de sa vie .

 

Portant la voix d’une enfant violée, Tafa mise sur le body painting pour exprimer la douleur. Étalant tantôt une couche de rose, de bleu, de violet, sur sa peau. Signe qu’elle prenait conscience de ce qui lui était arrivé et quelle sortait de son déni pour oser rompre le silence et raconter le viol qu’elle a subi. Être à moitié nue revient à délier sa langue pour dire son viol, réapproprier son histoire, son corps, sa dignité…

 

Été 1974 , Suad Labizze est une fillette alors âgée de neuf ans qui a eu le malheur de suivre un homme qui a fini par la violer. Une fois rentrée chez elle, après ce qu’elle venait de subir, la rudesse de sa mère l’amène à se recroqueviller sur elle, à faire comme si rien ne s’était passé et à rentrer dans un profond déni. Rien ne s’est passé depuis que sa mère lui a demandé pourquoi elle était dans la rue. N’ayant pas trouvé le réconfort escompté auprès de sa mère, elle se tait et garde pour elle le fait qu’elle a été violée. La réaction antipathique de sa mère l’a emmenée à se taire parce que dans sa tête d’enfant, en parler allait raviver ce comportement chez sa mère et elle ne le voulait pas .

 

Le déplacement de la culpabilité vers la victime est monnaie courante. Tafa le démontre au moyen du comportement de la mère de son personnage. Elle voulait se confier mais sa mère l’en a empêché.

 

Elle n’ arrête pas de marteler ces paroles « Rien de grave n’est arrivé depuis que ma mère a hurlé.» Pendant toute la durée du spectacle, l’artiste a questionné le comportement des adultes face aux violences que subissent les enfants. Elle démontre que le comportement des parents peut aggraver les traumatismes déjà présents. Par exemple, elle est arrivée à un point où elle se culpabilisait en essayant de s’imputer la charge de son viol. C’était sa faute à elle parce qu’elle n’était pas restée chez elle ou encore parce qu’elle a manqué de jugeote et a suivi un adulte dans la rue .

 

Étant petite, sa logique à elle l’a fait confondre « violet » et violait et l’amene même a penser que ce mot renvoie à une petite viol. À chaque fois qu’elle entendait son frère daltonien demander pour sa chemise violet, elle s’empressait de lui donner une autre chemise d’une autre teinte. Ce mot ravivait la douleur lancinante qui l’habitait et lui rappelait que quelque chose de s’était passé. Elle a été violée. En ce sens, porter du violet dans ce spectacle est d’une haute portée symbolique.

 

En rompant le silence, elle s’ouvre et se donne la possibilité de passer du statut de victime à survivante, c’est ce qu’elle démontre lorsqu’elle s’attache la traîne de couleur violet, couleur symbolique du féminisme. Tafa n’a pas livré qu’une performance artistique. Elle a fait corps avec son art, sa posture de féministe pour accoucher cette œuvre qui relève de l’artivisme, de l’art militant. Et faisant corps avec l’œuvre d’art, elle pose un acte qui va dans le même sens que les combats féministes pour libérer la parole autour des violences sexuelles.

Rappelons que les activités réalisées en amont du festival féministe se poursuivent au 24 juillet et que le thème retenu pour l’édition de cette année est “Mon corps au sens propre …et défiguré”.

Thara Layna Marucheka Saint Hilaire


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