Regard critique sur « Bonne vie à deux »: pour le meilleur et pour le pire

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Dans son livre ‘’Le deuxième sexe’’, Simone de Beauvoir (De Beauvoir, 1986) théorise sur le mariage comme institution, par laquelle la femme arrive à se libérer économiquement de l’emprise de son père, et à s’ouvrir à la sexualité. Monique Witting (Witting, 2009), elle, dans son texte intitulé ‘’ La lesbienne n’est pas une femme’’ accuse le mariage d’être le gardien des rapports hétéronomés, qui sont eux-mêmes le socle principal du capitalisme. S’il est vrai que le modèle sociétal que nous connaissons, notamment depuis la deuxième guerre mondiale, s’est évertué à rendre le travail salarié de plus en plus accessible aux femmes, le mariage n’en reste pas moins un espace d’ascension sociale et un but encore idéalisé pour beaucoup de femmes.

Il faut prendre cependant le mariage dans son aspect anthropologique quand on en parle dans le cadre haïtien. En effet, la plupart des foyers de la classe populaire et paysanne ne se marient pas. De plus, la famille ne se constitue pas seulement du père de la mère et de l’enfant comme il est stipulé dans le livre de civisme, mais ici la famille élargie , composée de tantes, oncles et autres a aussi la primeur. C’est un mode d’organisation familiale qui répond dans une certaine mesure à des besoins sociaux que l’Etat ne couvre pas.

Le mariage est aussi une histoire de classe en Haïti. Car, s’il est vrai comme nous venons de le mentionner que la plupart des couples des couches populaires ne se marient pas souvent, ceux des classes plus ou moins aisées, elles, scellent leurs unions par le mariage. C’est en ce sens que ce dernier représente une illustration visible des disparités sociales qui existent dans le pays. Avoir une cérémonie de mariage dans une petite église dans la commune de Tante n’est pas pareil qu’avoir une cérémonie de mariage dans un hôtel de luxe de Port-au-Prince. Un mariage ne s’improvise pas, il se prépare, il faut inviter des amis, qu’il va falloir impressionner par la beauté de la cérémonie, de la robe de mariage, de la veste du marier, de la décoration et de la diversité des plats. C’est un investissement qui peut prendre des années d’économie car il faut qu’il soit réussi en tous points. C’est une machine bien huilée avec une chaine de travail complexe, mise en place pour bien montrer les écarts sociaux, comme nous pouvons le voir dans le livre de la photojournaliste Valérie Baeriswyl . Elle commence avec le choix de l’église et se termine par le choix du lieu de la lune de miel si lune de miel il peut y avoir. Comme la première communion et les funérailles, c’est une cérémonie de matuvoiyerisme sans borne.

La femme meurt et renait de nouveau avec une nouvelle identité, une nouvelle fonction. Comme le dit Witting, elle fait savoir à la société qu’elle n’est plus disponible pour les autres concurrents potentiels, mais qu’elle a trouvé bon acheteur : son mari. Il n’y a qu’à voir le nombre de photo des mariées montrant leurs bagues, comme un joueur olympique ces trophées.

Une photo en particulier a retenu mon attention dans le livre : Bonne vie à deux de la photographe Valérie, prise lors d’un mariage nous pouvons lire sous les chaussures du marier pendant qu’il est à genou : MA FEMME. Ma, pronom possessif, la femme de qui ? De moi.

D’autres photos comme celles des demoiselles d’honneur à l’hôtel sur le lit, ou encore des mariés qui enlèvent la jarretelle devant une assemblée de curieux, rappelant les cérémonies de dépucelages des jeunes femmes au moyen –âge sont autant de sources d’analyse. Ces photos sont d’autant plus parlantes qu’il y a quelques années au niveau les classes moyennes défavorisées, voire pauvres, après la première soirée, il était de coutume pour les mariés dessus de leurs amantes d’envoyer aux parents un morceau de pain dans lequel ils avaient pris le soin de faire glisser une bouteille de cola…

Au-delà de la cérémonie, l’institution qu’est le mariage est à prendre sous divers aspects. Le premier aspect à prendre en compte est la légitimation. Légitimation dans un sens religieux et moral. Dieu a instauré le mariage, c’est donc à l’intérieur de cette institution et seulement elle que hommes et femmes peuvent entretenir des relations intimes.

Le protestantisme s’est popularisé en Haïti durant l’occupation américaine. Il fut utilisé comme arme pour combattre le catholicisme et par la même occasion l’influence européenne en Haïti depuis la colonisation. C’est une forme de protestantisme presqu’obscurantiste que nous remarquons en Haïti. Quelle n’est pas très souvent notre consternation face aux divers dérapages de l’église protestantes via des assemblées comme shalom et autres ? Très conservatrice, l’église protestante participe à la promotion du mariage dans le pays. En effet, la possibilité d’entretenir des relations intimes qui n’offusquent pas dieu dans le mariage est brandie dans les discours religieux.

Cette situation a pour conséquence de mettre le mariage sur un piédestal et d’en faire un but ultime à atteindre. Elle forme des jeunes gens à peine préparés psychologiquement et économiquement à se marier afin d’éviter les foudres divines qui n’ont de divin que la colère du chef de leur assemblée. Pour en revenir au livre, nous pouvons voir pas mal de photos de mariages doubles. C’est-à-dire que deux ou trois couples se mettent ensemble pour avoir la même cérémonie de mariage et de réception. C’est souvent le cas dans les églises protestantes qui organisent des mariages comme des cérémonies de baptême, c’est à dire de façon plus ou moins ponctuelle, et de façon collective.

Le deuxième aspect à prendre en compte est un aspect économique et culturel. S’il est vrai que c’est au sein des foyers plus ou moins aisée que le mariage est le plus populaire, il n’en reste pas moins comme le disait de Beauvoir dans son livre, un espace de libération économique de la femme, qui trouve en son mari un co-investisseur. Dans le cas où les deux ont un travail salarié, ils peuvent ensemble participés aux dépenses de la maison, sinon, l’un s’occupe des travaux ménager, et l’autre de rentrer l’argent. Il faut préciser que le commerce rentre dans le cadre de cet article dans ce que j’appelle le travail salarié.

Pour ce qu’il en est de l’aspect social, il démarque la femme mariée de la femme dehors, donc la maitresse ; et même dans l’imaginaire collectif elle n’est plus pareil et a droit à un respect nouveau. La perte du prénom pour le nom de famille du mari en est un exemple concret. Souvent, une femme mariée sera appelée par le nom de son mari au lieu de son prénom. Son statut, de par le mariage change, elle n’est désormais plus une des petites amies, mais LA femme de cet homme, comme s’il s’agissait d’une propriété quand bien même que notamment le mari peut être investi dans de possibles relations extra-conjugales.

Melissa Béralus


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