Récit de voyage

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“À partir de maintenant, ce sera moi qui décrirai les villes, avait dit le Khan. Et toi dans tes voyages tu vérifieras si elles existent.”

Extrait de Les villes invisibles d’Italo Calvino

En traversant à nouveau l’océan Atlantique dans mon vol Air France 0792 pour regagner Haïti le 9 juin dernier, je me suis souvenue d’un ami à qui j’aimais raconter mes lectures.  Quelques années de cela, je lui parlais de quelques personnages littéraires comme si c’était des gens que j’avais côtoyés dans la vie réelle et lui décrivais des lieux comme si je m’y étais déjà rendue. 

À ma grande surprise il m’avait demandé un jour:”As-tu déjà voyagé ?” J’ai répondu avec mon plus grand plaisir, bien sûr à travers les livres. On a éclaté de rire. Ma réponse n’était pas une sorte de subterfuge, ni quelque chose que j’essayais de dire avec de l’élégance. 

Au cours de notre conversation, je me suis mise à l’interroger sur ses nombreux voyages à lui. Il était légèrement plus âgé que moi mais il connaissait plein de petits coins sur cette terre. J’étais émerveillée mais je m’étais dit que personne ne me dira à travers quel prisme que je devrais poser mon regard sur le monde le jour où je commencerai à voyager.
Quelques années après, cette conversation avec mon ami m’est revenue. J’étais à Marseille et comme on me le reproche souvent, je n’arrive pas à sortir des livres que j’ai lus. Je les porte en moi à tel point qu’on me rappelle souvent que la vie n’est pas un roman. 

Vue de dos: un étang dans le parc Borély.
Photo: Eunice T. Eliazar

Moi, je n’ai jamais décidé si ma vie allait être un roman ou pas. Depuis toute petite, j’aimais parler de voyage. L’école où j’étais avec mon frère, ma sœur et mes cousines avec son programme essentiellement français m’a permis de m’ouvrir à d’autres cultures sans pour autant les savoir. 

On avait le CNED qui est un Centre National d’Enseignement à distance. Pour les élèves de la maternelle jusqu’à la troisième au collège on avait des tuteurs et des correcteurs à Toulouse. Pour le lycée, c’est-à-dire à partir de la seconde c’était à Rouen. Sur place on avait des encadreurs ou professeurs qui nous aidaient dans notre apprentissage. 

Même si j’aimais beaucoup mes cours d’SVT et d’Histoire-Géographie et que je fus bonne élève, je n’étais pas appliquée. Voilà pourquoi j’ai beaucoup aimé également ce fameux poème de Prévert: Le cancre. 

Très jeune, je voulais juste m’aventurer dans mes lectures ainsi que dans la vie; me perdre, rebrousser mon chemin, rencontrer la diversité et l’altérité culturelle dont ma directrice, madame Francine B., nous parlait souvent en classe de troisième alors qu’on préparait notre brevet de collège. 

Ce n’est pas la destination qui m’intéresse dans le voyage, mais l’idée et poser mon regard d’enfant, c’est à dire sans prétention mais avec curiosité, sur les choses qu’on m’a décrites. Eh bien il faut dire que la vie est un grand livre qu’il ne faut pas classer. J’ai lu La gloire de mon père de Marcel Pagnol à l’école primaire. Je me souviens exactement du passage où il décrivait, je cite :

“des allées ombragées par d’antiques platanes, des bosquets sauvage, des pelouses qui vous invitaient à rouler dans l’herbe, des gardiens pour vous le défendre, et des étangs où naviguaient des flottilles de canards.”

« La gloire de mon père » de Marcel Pagnol


Eh imaginez-vous que j’ai été me promener dans ce parc sans même me rappeler si j’avais été déjà ici, dans ce parc près des étangs, à travers ma lecture. Oui, j’ai redécouvert le parc Borély, un des parcs et jardins publics de Marseille, du quartier de Bonneveine dans le 8e arrondissement de Marseille, sans me rappeler où est-ce que j’avais déjà vu ce nom: Borély.
Puis il y a cette phrase qui m’est revenue :

“À partir de maintenant, ce sera moi qui décrirai les villes, avait dit le Khan. Et toi dans tes voyages tu vérifieras si elles existent.”

« Les villes invisibles » d’Italo Calvino

Effectivement, ce parc existe. Tout comme le roman de Marcel Pagnol me semble être aujourd’hui plus qu’une véritable histoire et un pan de mes souvenirs. Ce parc et “Et la gloire de mon père” me ramènent à la petite fille que j’étais. C’est un écho de l’enfance qui me revient. Les soirs où je lisais contre l’insomnie, contre l’ennui ou l’oisiveté me sont réapparus. C’est à travers la lecture que j’ai pu sortir tard les soirs de chez moi sans me soucier du retour. C’est à travers la lecture que j’ai pu me découvrir et voyager. Pour tous les rêves que j’ai nourris au son de la voix de ma tendre maman, pour toutes les fois où ma sœur ou mon ami m’écoutait raconter les romans que je lisais parfois devant une lampe incandescente, pour mon père et mon frère qui m’achetaient et continuent de me rapporter des bouquins, voilà à quoi me sert la littérature. À revivre des moments euphoriques. Des moments de pur bonheur avec les miens. À rester cette enfant qui s’émerveille et s’emballe sur un coup de tête. Je n’en demande pas plus. À vivre tout simplement. 

Eunice T. Eliazar, journaliste

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