Le monde de la musique, comme beaucoup d’autres domaines de la vie en Haïti, est presque exclusivement masculin. Force est de constater qu’elles se comptent sur les doigts d’une main, les femmes qui arrivent à y faire carrière et ce, sur le long terme.
Cependant, comme pour la littérature, il existe une pléiade de femmes qui ont apporté leur contribution à cet art et qui, étonnamment, sont aujourd’hui connues de très peu de personnes. Parmi celles-ci, il en est une dont la virtuosité lui a valu après un concert en République dominicaine le titre de première pianiste de l’île. Il s’agit de Camen Brouard, née en 1909 et morte en 2005. Si vous ne la connaissez pas, peut être avez vous tiqué à la lecture de son nom de famille. Elle le partage avec un frère dont la célébrité aura par malheur, éclipsé son travail à elle. En effet, elle est la sœur du poète Carl Brouard.
C’est avec des maîtres du Conservatoire de Paris, en France que Carmen suit des cours de piano, en parallèle à ces études classiques. Ayant longtemps vécu entre la France et Haïti, elle a suivi des cours au Conservatoire national de musique. Élevée dans une famille bourgeoise, son travail est dans la continuité de la production plastique et musicale fortement opposée à l’occupation État-Unienne d’Haïti. Plus tard, elle se laissera attirer par des sonorités plus proches de l’Afrique et de la culture populaire haïtienne pour ses compositions.
Elle confiera dans une interview en 1986: « J’habitais à Pétionville, entourée de cases paysannes où l’on jouait des tambours toute la nuit et cela m’a fait une impression durable ».
Si d’autres artistes dans la mouvance indigéniste font le même pari que Carmen, il n’en reste pas moins qu’elle était l’une des rares femmes dans la musique classique à une époque où il ne faisait pas bon pour les femmes, même bourgeoises, de prendre place dans l’espace public ou de s’y imposer.
Si Carmen Brouard ne tombe pas dans les excès (d’alcool) de son frère, les deux à plusieurs égards se ressemblent, notamment par leur amour de la poésie et l’engagement politique de leurs œuvres. La pianiste invite des poètes contemporains, son frère compris, sur ses diverses compositions.
Son travail, autant dans ses choix artistiques que dans les choix de titres posent clairement son engagement. C’est ainsi que sa première composition symphonique porte le nom de Baron-la-Croix. Pour recontextualiser, nous sommes encore dans les années dures pour le vodou. Certes, Jean Price Mars donne des conférences un peu partout afin de militer pour la promotion d’une culture haïtienne qui ne nie pas ses origines africaines, mais le vodou et ses références sont encore très mal considérés dans le pays, surtout chez les intellectuel.le.s et la classe mondaine à laquelle appartient Carmen.
Jean Price Mars dira d’ailleurs pour parler d’elle ainsi que de Ludovic Lamothe et Justin Elie: , « Pour la première fois, des musiciens tels que Ludovic Lamothe, Justin Elie, Carmen Brouard, sans renoncer à la norme classique de leur éducation artistique, s’inspireront des motifs de nos paysages ou de nos mœurs pour écrire “Sous la tonnelle”, “Danse tropicale” ou “La Mer Frappée » .
Elle meurt au Canada en 2005 à l’âge de 90 ans après une longue carrière de professeure de musique, et comme plusieurs autres créatrices du siècle dernier en Haïti, les livres d’histoire dont d’histoire de l’art citent rarement son nom, lui préférant celui de son frère. À cet égard, il faut remercier Claude Dauphin qui la cite dans son livre: Histoire du style musical d’Haïti, et à Orchestre Métropolitain de Montréal qui lui a rendu un hommage en 2012 en jouant son “Baron Lacroix”, à la Maison Symphonique de la Place des Arts, à Montréal.
Melissa Béralus