En Haïti, le rôle de la femme dans l’espace privé est très valorisé. Au-delà des défis qu’elle rencontre dans la société, des obstacles qui sont sur sa route, la femme haïtienne se perçoit courageuse et s’estime beaucoup pour ses réalisations envers sa famille. Des réalisations qui tendent à brimer son épanouissement personnel au détriment des soins qu’elle apporte au reste de la famille. Elle est sujette à des rapports asymétriques dans sa relation avec son homme au foyer. Partant de l’éthique féministe du care, on affirme l’idée pour dire que toute la valorisation et le renforcement positif que connaît la femme haïtienne par rapport à son rôle de mère ou d’épouse n’est pas efficace à sa personne. Ce qui conclut qu’il existe une mésinterprétation ainsi qu’une dévalorisation de celle-ci par les renforcements positifs en ce qui concerne sa présence constante dans la famille comme femme poto-mitan, au détriment de sa personne.
Origine de la femme Poto-mitan
Culturellement le terme poto-mitan ou poteau-mitan, fait référence au poteau central dans le temple vaudou. Ce poteau qui en fait est une représentation de l’axe du monde allant de la terre au ciel dans le but d’une communication entre l’humain et le divin (Chamoiseau, 2016). Chamoiseau Patrick explique que la dynamique du type de famille matrilocale dans les Antilles, fait référence à l’époque coloniale dans l’univers de plantation, là où l’économie familiale se reposait sur la femme esclave procréatrice (Chamoiseau, 2016). De ce fait, le terme poto-mitan réfère à l’individu qui est au centre du foyer. Celui autour duquel tout s’organise et s’appuie. Et dans le contexte culturel en Haïti, ce sont souvent des mères ou grands-mères monoparentales qui doivent concilier travail et famille pour répondre aux besoins des autres. Elles sont obligées d’être fortes et solides, physiquement et moralement et souvent les seules à éduquer leurs enfants qui sont parfois de pères différents (Ibidem). Mencé-Caster Corinne en questionnant le rôle de la femme comme pilier de sa maison, fait lien aux termes courage et sacrifices. Elle explique que c’est une forme d’attribution qui désigne la femme dans ses qualités d’être toujours forte et courageuse. De là prend place une forme de respectabilité lorsqu’il s’agit de la femme qui prend bien soin de ses enfants. D’autre part, il n’est pas sans savoir que la femme qui manquerait à ses responsabilités de mère au foyer se fera pointer comme étant une mauvaise mère négligeant sa famille, même si elle n’aurait pas les moyens qu’il faut pour s’en sortir. En somme, le terme désigne la femme Antillaise, dynamique, active, indépendante, mère irréprochable et courageuse. Elle est perçue comme un être exceptionnel qui reçoit l’admiration de tous pour son courage et sa force d’affronter les situations socio politiques les plus précaires.
Certaines critiques sont tenues en face de cette femme haïtienne courageuse. Selon Pierre Anderson (2018), il est vrai que le travail de ces femmes est louable, mais il est tout aussi important de considérer les manques que peuvent apporter de telles dispositions. Il faut souligner que les rudes efforts accomplis se font au détriment de leur santé et de leur épanouissement personnel. Dans le souci du bien-être de leurs enfants et dans le nom d’un certain instinct dite maternel, ces femmes se sacrifient. Elles vieillissent beaucoup plus vite dans un pays où l’espérance de vie ne dépasse pas soixante ans. C’est bien d’apprécier leur courage et de les honorer. Mais est-ce qu’elles sont vraiment obligées de se sacrifier pour offrir un mieux-être à leurs enfants? Ces femmes poto-mitan ont souvent été obligées d’abandonner très tôt leurs études pour s’occuper de leurs enfants, si toutefois elles ont eu la chance d’aller à l’école. Pierre Anderson considère qu’à parler de ces femmes comme des poteaux principaux de leurs foyers c’est de les mettre sur un piédestal qui est bancal. Ce faisant, les vrais problèmes sociaux-économiques ne sont pas soulevés dans la société haïtienne au sujet des femmes, parce que ces dernières continuent sans cesse à se tuer pour leur famille. Le mythe de la femme poto-mitan obstruit toute possibilité de réflexions fondamentales sur la question de la condition de la vie en Haïti ainsi que du travail de la femme haïtienne au foyer. Selon lui, c’est d’assumer que les femmes occupent de lourdent responsabilités au détriment de beaucoup d’épanouissement dans leur vie personnelle et de normaliser la situation. Cette place qu’a la femme haïtienne dans son foyer devient un enjeu important pour elle de pouvoir intégrer les autres sphères de fonctionnement public ou décisionnel dans le pays. Elles sont beaucoup trop occupées à prendre soin des autres. Mencé-Caster Corinne fait ressortir le piège de la maternité qui est sacralisée, ainsi que cette survalorisation de la mère au dénigrement de la femme. Elle explique que cette construction de la féminité sociale qui a pour point central un peu partout dans le monde, le gouvernement domestique, les soins aux enfants et aux parents âgés, la satisfaction de la famille se retrouve aussi dans les Antilles. Cette construction prend tellement de place dans l’inconscient collectif, qu’elle entraine avec elle une exclusion de la femme dans les sphères publics et politiques. Selon l’auteure ce sont des valeurs qui tendent à se transmettre de génération en génération. Elle souligne aussi que parler de la gratification de la femme poto-mitan tend à donner un faux pouvoir à la femme à l’intérieur de sa maison, qui lui demande des sacrifices intrinsèques énormes afin de tenir à ce standard. Cette représentation de l’inclusion de la femme dans le domaine privé qui lui assure une forme de prestige inégale au sein du foyer peut la rendre une cible importante dans les situations de violences conjugales. Donc à cela on retrouve des rapports asymétriques dans le couple face aux diverses sphères de vie.
Une approche matérialiste du poto-mitan en Haïti
Sabine Lamour (2017), dans sa thèse explique que les recherches post-esclavagistes de l’Amérique et de la Caraïbe considèrent le rôle économique des femmes dans les familles comme le signe d’un dysfonctionnement social. L’auteure explique que ces rôles se construisent dès le jeune âge par les diverses pratiques de socialisation qui inculquent aux filles une éthique de responsabilité envers les autres, à comparer aux garçons qui se doivent d’avoir une perception totalement différente d’eux-mêmes. Une fois adulte, les hommes se retrouvent dans tous les sphères politiques à se responsabiliser envers la société tandis que les femmes sont à la maison à prendre soin des autres. Mahotière Chantal (2008), fait comprendre dans son travail de recherche comment l’homme haïtien qu’il travail ou non, n’accomplit que rarement les tâches domestiques considérées comme des tâches féminines. Alors qu’en raison des situations socio-économique précaires, la femme haïtienne va effectuer les deux rôles. C’est-à-dire, travailler à l’extérieur de la maison, mais aussi à la maison pour prendre soin de ses enfants et procurer un environnement sain à vivre. C’est ainsi que subtilement prend place dans l’invisibilité, la disqualification, l’oppression, la dévalorisation et la surcharge que le travail de la femme contribue à l’économie nationale. Paradoxalement, les femmes haïtiennes sont les premières victimes de la pauvreté en Haïti. Pour les raisons qu’elles occupent les postes les plus bas de la hiérarchie salariale et qu’elles sont nombreuses à être sans emploi. On pourrait même parler d’une féminisation de la pauvreté en Haïti à cause de son étendu au sein de la société. On peut aussi considérer que les femmes haïtiennes vivent la pression de bien faire. Cette pression qui en dépit de leurs maigres moyens va leur pousser à faire en leur possible de soutenir, prendre soin de leur famille même sans ressources financières ou encore par toutes autres formes d’échanges sexuelles.
Le care
Le terme care désigne une attitude envers autrui qui est traduit en français par : attention, souci, sollicitude ou de soin. Toutes ces traductions renvoient vers un aspect précis et différent de ce qu’est le care. Le terme attention précise une manière de percevoir le monde et les autres. Souci et sollicitude renvoie à la préoccupation pour autrui de façon concrète. Le terme care ou prendre soin de, se retrouve entre la disposition et l’attention envers l’autre qui se développe dans la conscience face à une responsabilité à son égard, venant d’un souci de bien faire. De veiller à son bien-être, à ses activités, l’ensemble des tâches individuelles et collectives visant à favoriser ce bien-être (Garreau, 2010). Les théories du care sont initialement développées dans le champ de la psychologie morale, dans le cadre de recherches visant à mettre en lumière les étapes du moral et la forme du raisonnement moral (Ibidem). Dans une perspective en lien au care, Kittay présente une éthique pratique en lien à l’équité. Elle présente un cas de figure ou un adulte est en position supérieure pour prendre soin d’un enfant. Dans la situation, elle ne fait pas attribution au sexe de l’adulte. L’être humain est porté à s’occuper de n’importe quel autre être qui est vulnérable à ses yeux. Il serait important à dénoncer toute absence de fondement qui tend à séparer les hommes des femmes dans le rôle de prendre soin de. La sollicitude prescrite aux femmes est l’un des éléments fondamentaux qui tend à diviser les sexes.
L’éthique féminine tend à présenter les femmes d’une perspective à être souples, soignantes, caring tout en les attribuant des rôles inégaux à comparer aux hommes. Cette vision tend à subordonner la femme à des rôles de mères, d’aide-soignant. Tandis que l’éthique du care n’est pas féminine en soi. Elle relève des préoccupations humaines et tend à inclure l’être humain comme sensible aux autres et à tout être vivant. Peut-être que nos mères, grand-mères, tantes et marraines auraient été moins frustrées si elles n’avaient pas eu le souci de porter le poteau de la société sur leur dos. Peut-être qu’elles auraient participées à porter leurs visions créatrices dans les sphères publics. Peut-être que nos pères nous auraient aimés et pris soin de nous un peu plus que de trouver l’excuse d’être au travail. Peut-être qu’on aurait déjà réfléchi sur ce que pourraient être l’instinct paternel.
Emmanuela Robert François
Bibliographie
BRUGÈRE, Fabienne (2008). « Le sexe de la sollicitude », éditions de seuil.
CHAMOISEAU, Patrick (2016). « Que veut dire l’expression potomitan? » Blake’s, Le média caribéen, récupéré de : http://blakes.fr/que-veut-dire-lexpression-poto-mitan/
GARREAU, Legoff (2010). « Care, justice et dépendance ».
KITTAY, Eva (2012). « Une éthique pratique de la philosophie ».
LAMOUR, Sabine (2017). « Entre imaginaire et histoire : une approche matérialiste du poto-mitan en Haïti », thèse pour le doctorat de sociologie à l’Université Paris 8, sous la direction de Gail Pheterson.
LONGTIN, David (2010). « La violence faite aux femmes en Haïti : entre le réseau (inter)national d’assistance et la représentation des organisations féministes haïtiennes (1991-2008)». Mémoire de maîtrise en sciences politiques. Université du Québec à Montréal.
MAHOTIÈRE, Chantal (2008). « Luttes Féministes en Haïti, Études exploratoire des enjeux culturels, motivations et projets qui sous-tendent l’engagement féministe », Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures, Université Laval, Département d’histoire faculté des lettres Université Laval, Québec.
MENCÉ-CASTER, Corinne (2017). « Dossier : Origine de la « fanm poto-mitan ». Évolutions et limites ». Pluton-Magazine, Paris-Sorbonne.
PIERRE, Anderson (2018). « Femmes Poto-mitan en Haïti, le revers de la médaille », La science ouverte comme outil de développement du pouvoir d’agir et de la justice cognitive en Haïti et en Afrique francophone, Aliénation épistémique et décolonialité