Le corps des femmes est victime et coupable de viol sous la loupe d’une société sexiste. Cas des déplacées fuyant Cité soleil, Canaan, Jérusalem…
Rumeur: “ La situation d’insécurité en Haïti est inquiétante. Les gangs se multiplient sous le viseur impuissant des autorités concernées. J’ai une amie qui a été kidnappée par des bandits. J’ai la ferme intuition qu’elle a été violée, vu son comportement qui a changé du tout au tout après sa libération. Elle a un corps de rêve. (Bandi yo pa p pa kraz manzè)… D’ailleurs, dans ces circonstances, depuis que la femme a un joli corps, elle va passer à la casserole…’’
Contexte: Une déclaration faite au cours d’une conversation entre plusieurs collègues de bureau commentant les actes perpétrés (pillage, kidnapping et viol) par les gangs armés dans plusieurs zones en Haïti. Alors que certaines actions sont décriées, critiquées et même révoltent, d’autre tel que le viol, est sujet de blague de mauvais goût à l’endroit du corps de plusieurs femmes violées. À en croire ces propos, le corps de la femme serait seul responsable des agressions sexuelles. Une rumeur machiste et sexiste qui décharge dans une certaine mesure le violeur de son crime.
Analyse de la rumeur:
La rumeur faite sous forme de blague banalise indirectement la question du viol. Ce qui sous entend, que le viol fait sur un corps disgracieux ne possède pas la même ampleur que sur un autre dit ‘’bien mis en évidence’’.
Des propos qui font comprendre à la victime que la faute revient à son corps. Ce qui peut porter la victime à haïr sa personne, l’emmener à une depression sévère, avoir peur du regard des autres, vivre en recluse.
La rumeur qui est également remarquée sur les réseaux sociaux engendre de la mésinformation chez certain.es internautes qui, influencé.ées, sans se rendre compte vont croire que le corps d’une femme est dépossédée d’une personnalité.
Comme dit le vieux adage, “c’est en riant qu’on corrige les mœurs”, mais c’est également en blaguant qu’on perpétue certaines stigmatisations.
Cette rumeur donne carte blanche au violeur. Le corps de la femme devenu donc chosifié peut être disposé au gré d’un bandit violeur.
La rumeur rappelle aussi que la société haïtienne fonctionne encore sous fond de sexisme et de machisme.
Vérification des faits:
Depuis juin 2021, le banditisme s’est accru progessivement sur le territoire haïtien. A Martissant, Cité Soleil, Canaan, des milliers de familles ont été obligées de fuir leur maison. Alors qu’une grande catégorie s’est installée dans les zones de province, une autre partie s’est réfugiée sur des sites de fortune, dans le département de l’Ouest. Selon le dernier récensement de l’Organisation Internationale de la Migration (OIM) , au mois d’avril 2023, 8 919 personnes ont abandonné leur maison à cause des gangs, moins de 19% comparativement au mois de mars, qui a récolté un effectif de 11 036 personnes. Au premier rang des victimes se trouvent les filles et les femmes dont la plupart sont violées.
Lors d’une visite sur plusieurs sites à Maïs Gâté (lakou Torchon, Cité Castro), plusieurs dizaines de femmes entre 20 et 70 ans affirment avoir été violées et violentées par des hommes armés, en fuyant Cité Soleil, le 8 juillet 2022.
Dans la soixantaine, cette déplacée est mère de trois enfants. Elle raconte son calvaire. “Nous étions 6 dans une camionette, je crois, lorsque les bandits nous ont stoppés. Apres nous avoir ordonné de descendre, ils sont partis avec chacune d’entre-nous dans de différents coins. Je ne sais si c’est à cause de mon âge, ils m’ont dit de rester immobile dans un premier temps. C’est le moment où l’un des deux demanda, est-ce pour la tuer? L’autre a repondu que non. Apres cela, ils m’ont emmené dans l’herbe pour me violer.”
‘’ Je n’ai personne pour me tendre la main. Je dois compter sur les autres pour manger quelque chose. Je dors dans le froid. Mes jointures me font mal. Cette situation à coup sûr va causer ma mort’’, sanglote-t-elle.
Une autre déplacée, fin trentaine a connu le même sort. Violée par quatre hommes armés, elle porte dans sa chair et sur sa peau, les traces visibles de cette aggression physique et sexuelle. “Je ne voulais pas me laisser faire. Je me débattais de toutes mes forces. Ils étaient en colère. L’un d’entre eux essayait de m’étouffer. J’hurlais quand même. Ils m’ont frappé et m’ont traîné dans les ronces.’’
Pour nourrir ses quatre enfants placés ailleurs, elle confie avoir l’habitude d’aller aider les marchandes à cuisiner. En retour, ces dernières lui donne un plat à emporter. Physiquement et psychologiquement, elle affirme n’être pas au mieux de sa forme. “Je ne vis pas bien. Hier soir, je pensais que je n’allais pas passer la nuit à cause de cette masse qui se trouve dans ma gorge depuis le viol. Étant asthmatique, je peinais à respirer.” Pour s’habiller, elle trie dans les friperies, laissées souvent au bord des routes.
Plus d’une cinquantaine de femmes habitant lakou Torchon ont été violées. Leur certificat médicale qu’elles ne cachent pas de présenter peut en témoigner. À Cité Castro, elles son réticentes à en parler néanmoins une jeune femme confirme les faits. Selon son témoignage, elle connaît une victime qui est décédée, quelques temps après. “Des gens l’avaient conduit à l’hôpital mais hélas…”
Il va faire bientôt un an depuis leur abandon forcé, cependant les séquelles sont toujours présentes et zéro pris en charge pour la plupart d’entre-elles qui vit dans une misère extreme.