Les séries télévisées sont devenues depuis une trentaine d’années des objets d’étude scientifique dont les dimensions culturelle, historique, littéraire, psychologique et géographique[1] sont étudiées par les sciences sociales. Cet intérêt s’explique en partie par le fait que ce « produit de la culture populaire » est porteur et créateur de sens, donc est en mesure de dynamiser notre vision du monde[2]. Dans ce même élan, la série brésilienne « Bonjour, Verônica » est capable de permettre d’engager un décryptage des violences faites aux femmes qui sont sous emprise psychologique de leurs agresseurs. Mon analyse dans le cadre de ce travail servira donc à questionner la représentation des violences sexistes et sexuelles, thématique dominante dans la série, tout en étant consciente des écueils interprétatifs qu’une analyse rapide d’une œuvre aussi importante est susceptible d’engendrer. Son inscription dans l’aire géoculturelle du Brésil et sa réception seront peu étudiées. L’ossature de ce travail se limitera donc à une brève présentation de la série, à la psychiatrisation du personnage de Brandão et au sexisme dans les interactions entre certains personnages féminins et masculins de ce thriller pour ensuite aboutir à des éléments conclusifs qui s’appuient sur une vue globale de l’analyse de cette œuvre fictionnelle dans une perspective de genre.
Présentation de « Bonjour, Verônica »
« Bonjour, Verônica » est une mini-série brésilienne télévisée qui est diffusée depuis le 1er octobre 2020 sur la plateforme de streaming étasunienne, Netflix. Composée de 8 épisodes, de 47 à 52 minutes chacun, la série est repartie sur 2 saisons. Le script qui est basé sur le roman du même nom, et dirigé par Raphael Montes et Casoy Ilana met en vedette Tainá Müller dans le rôle de Verônica Torres, secrétaire pour la police de São Paulo. Interprète principale de la série, ce personnage cherche à résoudre les énigmes de violences faites aux femmes depuis qu’une jeune femme, Marta Compos venant porter plainte pour avoir été arnaquée sur un site de rencontres (Amour idéal) par un homme qui prétend l’aimer, se défenestre sous ses yeux, dans l’enceinte du poste de police, tout en déclarant que « l’amour idéal n’existe pas ». Cette expérience marquante lui servira de fil conducteur et de moteur pour tracter des cas d’abus sexuels et de violences perpétrées sur des femmes. C’est le cas de Brandão, officier de la police militaire, qui se livre à des actes de torture et de violences sexuelles sur des femmes et fait subir à sa femme Janete, femme au foyer, une violence multiforme qui tourne autour de son infertilité. Celle-ci vit constamment sous la peur de se faire tuer et hésite de poursuivre les plaintes contre son mari, présenté comme un pervers narcissique. Mon intérêt c’est d’analyser comment la série Bonjour Verônica représente-t-elle les violences sexuelles et sexistes ? Mon analyse qui prendra appui sur des personnages et passages clés de la série. Mais d’abord, une précision sur ce que j’entends par violences sexistes et sexuelles s’avère nécessaire.
Je définis les violences sexuelles et sexistes avec Maryse Jaspard, chercheure en « Genre, démographie et société, comme étant « des actes de discrimination perpétrés en raison du sexe biologique de la personne, en l’occurrence le sexe féminin. Ces violences sexistes peuvent se manifester sous forme d’agressions verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles. Les violences sexuelles sont des agressions en rapport avec la sexualité de l’agresseur et de l’agressé (…). »[3] On peut comprendre que la frontière entre ces deux types de violences est parfois poreuse, en fonction du mécanisme de leur production, qui fait qu’un continuum de ces violences est possible dans leur mode opératoire.
La psychiatrisation du personnage de Brandão
Dans « Bonjour, Verônica », le mari de Janete, Brandão gère mal sa colère et sa relation aux autres. Il profère des propos violents, hausse la voix, casse des ustensiles selon son bon vouloir, mais surtout martyrise les femmes y compris son épouse. Parallèlement, il s’assure d’avoir la couverture nécessaire, au niveau de l’institution policière, pour que ses actes et crimes sexuels restent incognitos, sinon impunis. Cette œuvre fictionnelle dresse sa personnalité comme un psychopathe, avide de collecter des victimes, toutes des femmes, sans défense aucune et prêtes à le suivre dans sa maison en échange de possibilités d’emploi ou d’argent. Pourtant, la série laisse planer des doutes sur sa capacité à être bien conscient de ses actions et d’assujettir ses victimes par le seul fait d’être un homme, donc un dominant dans la hiérarchie des sexes. Ce qui m’invite à penser à l’approche psychodynamique de la violence conjugale, prégnante dans la série. Selon la criminologue Emmanuelle Mélan, cette approche permet de comprendre ces violences comme le « symptôme d’une inadaptation ou d’une faille personnelle et pathologique dans le développement de la personnalité de l’agresseur, de la victime, ou encore des deux partenaires »[4]. Or cette approche évacue les ressorts de la domination masculine, au prisme des rapports sociaux de sexe. Jalna Hanmer[5], chercheure en sociologie, évoque dans sa thèse Violence and the Social Control of Women publiée en 1987 que la violence et la menace que font peser les hommes sur les femmes sont à la fois un moyen de contrôle et d’assujetissement social des femmes, dans les sphères autant publiques que privées. Le fait pour cette thèse de montrer combien les relations macro et microsociales découlent de l’acceptation sociale de la violence et de la menace des hommes sur les femmes, m’amène à m interroger sur les violences spécifiques faites aux femmes. Le cocktail fait de propos humiliants en raison de l’infécondité de Janette et de sévices corporels est vu au travers de l’emprise psychologique et d’une incapacité pour la victime de se soustraire à cette situation qui pourtant met sa vie en péril. Selon Severac (1997), cité par M. Jaspard, « Toute relation a fortiori amoureuse porte en elle une potentialité de violence liée à la gestion de l’interdépendance entre les deux partenaires »[6]. Il revient donc de souligner la matérialisation de ces violences dans un cadre contemporain plus global de production de violences envers les femmes sous un régime patriarcal, au prisme de la domination masculine. La militante féministe Caroline de Haas, identifie à cet égard plusieurs mécanismes des violences, qui sont explorés dans la série. Parmi ces mécanismes, on retrouve l’isolement, la victime, Janete coupe les liens avec sa famille sous l’ordre de son mari Brandão ; elle expérience la dévalorisation par son mari qui lui fait penser qu’elle est une bonne à rien en raison de son infertilité. Il y a aussi l’instauration de la peur, en fait, son mari lui montre des scènes de violences sur d’autres femmes perpétrées dans le domicile conjugal, une situation douloureuse, que Brandão s’assure d’orchestrer en toute impunité, notamment en l’empêchant de garder contact avec le monde extérieur. Cette violence multiforme est également rendue possible grâce au soutien d’autorités policières qui permet au mari de Janete de couvrir ses actes. Dans la série, si certains « points communs », du mécanisme de reproduction des violences sont explorés, la narration me laisse toutefois sur ma faim par rapport à la passivité sinon la complicité de certains personnages, dont celui de Anita, personnage féminin qui s’est mis à dénigrer Janete, systématiquement violentée par son mari, Brandão.
Sexisme, rôle et pouvoir de genre
Si la série est centrée autour des violences sexuelles, en revanche, le sexisme y est très présent et intégré dans un cadre général de sociabilité masculine. C’est un personnage féminin qui prend les choses en main, poursuit des auteurs de violences, mais ses principaux interlocuteurs sont des hommes. L’interprète principale, Verônica est une femme incomprise par sa famille de surcroit négligée, en raison de son travail d’investigation qu’elle entend poursuivre au-delà des obstacles rencontrés mais qui ne correspond pas avec le rôle qu’elle occupe comme secrétaire de police. Son supérieur hiérarchique, le commissaire de police Wilson Carvana lui rappelle à l’ordre pour son travail mais aussi l’investissement professionnel de Verônica met mal à l’aise son mari. Aussi, le choix professionnel de Verônica est remis en question par Wilson Carvana qui lui fait savoir que son père n’aimerait pas la voir travailler sur des dossiers sensibles. Il est rare de voir représenter ce dilemme pour les héros masculins, où la famille ou l’autorité parentale est parfois présentée comme très accessoire et non comme un réel enjeu de négociation dans les rapports sociaux. Par ailleurs, il ressort que tous les hommes ont quasiment un ascendant sur les femmes qui ont du mal à se défaire de leur emprise dans « Bonjour, Verônica ».
Les violences psychologiques et économiques envers les femmes ne débouchent pas sur leur agentivité bien que dans la figure héroïsant de Verônica, une transgression subtile de ce cas de figure émerge. Par ailleurs, la série divulgue un ensemble d’autres biais sexistes, comme l’importance de la beauté pour les personnages féminins, par exemple la fille de Verônica qui nourrit des complexes sur son physique ; pré-adolescente, elle doute déjà de sa beauté.
Les violences psychologiques et économiques envers les femmes ne débouchent pas sur leur agentivité bien que dans la figure héroïsant de Verônica, une transgression subtile de ce cas de figure émerge. Par ailleurs, la série divulgue un ensemble d’autres biais sexistes, comme l’importance de la beauté pour les personnages féminins, par exemple la fille de Verônica qui nourrit des complexes sur son physique ; pré-adolescente, elle doute déjà de sa beauté.
Parmi l’une des critiques émises sur la série, on peut noter celle de la scénariste de télénovelas brésilienne Gloria Perez qui déclare : « Un thriller brésilien, résolument féministe, ou se déploie à un rythme effréné toute la noirceur de l’âme humaine ».[7] On pourrait en revanche se questionner d’une part, sur l’étiquetage de féministe quand beaucoup d’ambiguïtés subsistent quant au véritable pouvoir des personnages féminins présents dans la série ; d’autre part, du fait que les personnages féminins ont comme interlocuteur principal des personnages masculins. La série reprend de surcroit des stéréotypes sexuels, qui circulent dans les processus interactionnels, au risque de questionner la portée féministe que pourrait suggérer le personnage central de Verônica.
La représentation des violences sexistes et sexuelles permet de démontrer les multiples conséquences pour les victimes. Dans l’ensemble, « Bonjour,Verônica » se distingue par l’exposition des rouages institutionnels (justice, police) dans le traitement des violences sexistes et sexuelles, en campant une justice et une police aveugles à la souffrance des victimes et inefficaces pour une réponse appropriée et rapide des violences à l’encontre des femmes.
« Bonjour, Verônica » m’a permis d’ouvrir la réflexion sur le manque de reconnaissance des violences faites aux femmes, indispensable au dévoilement des victimes qui ne bénéficient pas d’un traitement « en temps réel ». Cette série est très actuelle et fait écho aux denonciations qui ont accouché #MeToo, dans l’exposition de la lenteur des procédures judiciaires qui laissent les victimes sans recours, à un point tel que suicide s’ensuive. La corruption qui touche les institutions telles que la police et la justice, concentrées aux mains des hommes, est particulièrement parlante sur la possibilité pour les victimes de violences sexuelles et sexistes d’obtenir justice. Le caractère politique et non privé des violences domestiques est captivant, en dépit de la psychiatrisation d’un personnage aussi important que Brandão, « mâle alpha », qui use de son pouvoir pour abuser de femmes. La représentation des violences sexistes et sexuelles permet de démontrer les multiples conséquences pour les victimes. Dans l’ensemble, « Bonjour,Verônica » se distingue par l’exposition des rouages institutionnels (justice, police) dans le traitement des violences sexistes et sexuelles, en campant une justice et une police aveugles à la souffrance des victimes et inefficaces pour une réponse appropriée et rapide des violences à l’encontre des femmes.
Jeanne-Elsa Chéry
[1] BERTON Mireille, BONI Marta, « Comment étudier la complexité des séries télévisées ? : vers une approche spatiale », TV/Series [En ligne], 15 | 2019, mis en ligne le 16 juillet 2019, URL : http://journals.openedition.org/tvseries/3691, consulté le 11 décembre 2022.
[2] DREYFUSS Laurence, RASCOL-BOUTARD Sylvie, « À la frontière du réel : les séries américaines, une inspiration pour comprendre les dynamiques organisationnelles » Dans Management & Avenir 2017/4 (N° 94), [En ligne, Cairn,À la frontière du réel : les séries américaines, une inspiration pour comprendre les dynamiques organisationnelles [1] | Cairn.info , consulté le 10 décembre 2022.
[3] JASPARD Maryse, Les violences contre les femmes, La Découverte, Paris, 2005, p.18.
[4] MÉLAN Emmanuelle, « Violences conjugales et regard sur les femmes. Qu’apporte une définition basée sur une construction genrée des victimes ? », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol. XIV | 2017, consulté le 9 décembre 2022.
[5] HANMER Jalna, Questions Féministes, No. 1 (Novembre 1977), pp. 68-88 Published by: Nouvelles Questions Féministes & Questions Féministes Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40619104 , consulté le 7 décembre 2022.
[6] JASPARD Maryse, Les violences contre les femmes, ibid, La Découverte, Paris, 2005, p.18.
[7] CASOY Ilana, MONTES, Raphael, Bonjour Verônica, Paris, Editions Hauteville, 2021.