Les sanctions sociales, enjeu de taille pour les grossesses précoces

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Quand on évoque les grossesses précoces, les réactions tournent souvent en débat moralisant les jeunes d’aujourd’hui et leur hyperactivité sexuelle supposée, où sur le temps d’avant où on se retenait. Le refus de considérer la sexualité à l’adolescence comme une partie de l’évolution des jeunes, fait qu’elle est niée ou prohibée dans les discours. N’empêche, l’adolescence reste souvent le point de départ de la vie sexuelle comme en témoignent les tendances des rapports EMMUS.

“En dessous de 20 ans ont fait l’amour, et on tombe enceinte. En dessous de 20 ans on est aussi agressée et violée, et on tombe enceinte.”

Ces grossesses constituent des risques médicaux, pour les filles-mères qui risquent souvent leur vies et celles des bébés. Il y a tout une littérature sur l’incapacité des corps des filles à mettre des grossesses à terme mais les risques des grossesses précoces ne s’arrêtent pas à la gestation. La société se donne souvent comme objectif de punir les jeunes filles qui brisent le tabou du sexe avant le mariage. Elles risquent de perdre la vie dans une salle d’accouchement, sinon voir s’effriter leur vie sociale.

On peut toujours notifier que les luttes pour les droits des filles ont pris un certain effet en Haïti et ont rendu les mariages précoces socialement inacceptables. Toutefois, ce progrès ne se traduit pas par un statut protégé aux jeunes filles. Quand elles sont enceintes, elles doivent souvent assumer seules la grossesse et les diverses sanctions sociales qui peuvent modifier jusqu’à briser définitivement leur cadre de vie.

Tomber enceinte n’est pas une affaire d’expérience

Il faut d’abord être conscient-e que le coït non protégé, consensuel ou non, est toujours le principal moyen de tomber enceinte. A 15 ans ou à 30 ans, il suffit toujours d’un unique rapport pour féconder une ovule. Mais le patriarcat construit les femmes et ceci même dans leurs minorités comme des perverses, et ce n’est pas un hasard qu’aujourd’hui les principales personnes visées par les différentes réactions sur les “timoun 2000” sont les filles. Dans ce contexte, tomber enceinte tout en étant mineure ou pas avant le mariage c’est dévoiler une pseudo perversion accolée aux femmes et aux filles.

Dans le cas des filles-mères, le peu d’informations disponibles sur la sexualité indique que c’est une pratique pour adultes, accent sur adultes marié-e-s. Mais 10 % des 15-19 ans interrogé-e-s pour l’étude d’EMMUS-IV publiée en 2017 étaient soit actuellement enceintes soit mères. La représentation du sexe comme acte tabou et l’idée de perversion lié à la sexualité inflige aux filles-mères des sanctions sociales qui portent atteinte à leurs droits et nuisent à leur dévelopement et leur autonomisation. Des sanctions disproportionnées quand on réalise qu’elles ont eu une éducation sexuelle qui se résume à des clichés ou des adages comme “ti poul ki cho se malfini ki dèyè l”, pour souligner une attitude d’évitement du sexe que devraient adopter les filles par rapport aux garçons, sinon les garçons face aux filles dans une moindre façon.

La grossesse et ses sanctions d’incapacités

Tous les impacts sociaux de la grossesse commencent avec la responsabilité parentale incombant aux filles-mères et à leurs familles. La maternité, précoce ou non, reste la responsabilité des femmes. Ces filles sont obligées sous la pression sociale d’assumer une maternité sans le pouvoir de l’interrompre et sans assistance sociale. Elles sont obligées de s’émanciper tout en étant rejetées.

Prises pour les seules responsables de leurs grossesses, elles abandonnent l’école ou se font renvoyer dès que l’administration s’en rend compte. À date, ce n’est pas une mesure légale, et les filles enceintes ont toujours le plein droit de rester à l’école. Mais la maternité précoce continue de jouer un rôle dans le décrochage scolaire. Cet abandon est souvent sans remédiation, les filles-mères considérées comme adultes n’ont plus le soutien de leurs parents et retournent rarement à l’école pour terminer leurs études. Ce qui est une atteinte directe à leur accès à l’éducation qui est censé leur être garantie.

L’impossibilité de poursuivre leurs études ou de devoir les retarder constituent non seulement pour elle mais pour la société en général un déficit considérable. Cette situation retarde le développement des capacités et des compétences des femmes.

Elles sont également tenues de subvenir à leurs besoins, mais il est fort difficile de trouver un emploi en étant enceinte. Considérant que celles qui peuvent procèderont toujours à l’avortement quoique illégale, celles incapables devront assumer. Et celles qui assument n’ont pas les moyens économiques ou sont visiblement en pleine précarité. Les offres d’emplois disponibles sont peu gratifiantes et n’engagent pas les femmes enceintes. Elles se retrouvent donc dans des situations encore plus précaires.

La violence cachée des grossesses précoces

Au sein des foyers de filles-mères, les menaces, le harcèlement, la pression exercée affectent l’accès à l’éducation, aux soins et même à l’emploi. Mais ces menaces sont souvent des formes de violences verbales qui deviennent également physique soit par la mère soit par le conjoint, les voisins ou même les institutions.

Elles sont socialement et matériellement punis d’être tombés enceintes, pour citer David Jean Simon: “Pour de nombreuses familles, la grossesse à cette période de la vie est un crime. Par voie de conséquence, l’adolescente serait sujette à des punitions réservées aux criminels (coups de bâton, gifles, etc.) dans l’environnement dans lequel elle évolue”. [1]

La violence verbale subie passe aussi par le vocabulaire employé pour parler de ces jeunes filles, comme le refus de dire qu’elles sont enceintes mais “plenn” tenant compte qu’on utilise pas le terme “enceinte” pour les animaux mais généralement “plenn”. De ce fait nier aux jeunes filles l’appellation de filles enceintes contribue à les dénigrer. En enlevant le mot enceinte, on détruit le caractère humain de la grossesse, on empêche les manifestations d’empathie à leurs égards. Ces jeunes filles sont ciblées et font donc l’objet de moqueries ou de propos inconsidérés de la part de l’environnement ambiant

Cette violence peut se manifester dans les institutions de prise en charge, des personnel-le-s médicales peuvent négliger les filles-mères ou encore manifester un comportement rude pendant la grossesse et dans l’accouchement. Matthieu nous rapporte la situation de Gisèle par rapport aux professionnels:

“Quand je suis arrivée à l’hôpital, l’infirmière m’a dit qu’on ne pouvait pas me recevoir, j’ai pleuré et elle m’a dit quand on n’écoute pas ses parents et qu’on ne prend pas ses études au sérieux, il n’y a pas d’autres résultats que ce que j ‘ ai et qu’elle espère dans les jours et les mois à venir que mes seins s’allongent jusqu’aux chevilles et que le père de l’enfant ira à la plage avec d’autres filles.”

Il y a une nette prépondérance de l’utilisation de sanctions sociales dans la gestion des grossesses précoces. Le personnel médical est parfois biaisé et porte des jugements sur les jeunes filles sans retenu professionnel.

La prise en charge hostile des grossesses précoces est également lié au manque d’assistance sociale disponible en Haiti[2]. Ce manque de ressources affecte aussi les filles victimes de viols ou de pédocriminalité. A date, il n’y a aucune donnée disponible pour discuter de ces situations.

Les mesures d’exclusion n’assurent pas une protection contre les abus sexuels qui représentent une des causes des grossesses précoces. Ces sanctions sociales créent un environnement d’impunité pour les agresseurs tout en etant globalement préjudiciables au bien-être des jeunes filles.

Deborah Douyon


[1] David Jean Simon, “ La violence subie par les adolescentes enceintes à Haïti”, Études caribéennes [En ligne], 45-46 | Avril-Août 2020, mis en ligne le 15 août 2020, consulté le 04 mars 2022. URL : http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/19062 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudescaribeennes.19062

[2] Mathieu Hérold, “La grosses survenue à l’adolescence chez les jeunes femmes vivant dans un camp d’hébergement suite au séisme du 12 janvier 2010 en Haïti”, mémoire, UQAM, 2014.


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