On est le 14 mai 2022, sur une place à Clercine, dans la commune de Croix-des-Bouquets un amoncellement de femmes et d’enfants assiste à une distribution de nourriture en attendant le coucher du soleil afin de pouvoir aller se coucher. Ces personnes, se sont les rescapé-e-s du massacre qu’il y a eu durant la fin du mois d’avril 2022 en plaine, qui avait causé plusieurs morts et maisons incendiées.
Parmi ces personnes, une jeune femme à qui il manque une jambe: Cassandre (nom d’emprunt).
Elle a eu la vie sauve grâce à la générosité d’un voisin qui possédait une motocyclette et qui lui a permis de monter à l’arrière pour prendre la fuite. Depuis, sans nouvelle de sa famille, elle vivait dans le logement de fortune mis en place par la mairie afin d’acceuillir femme et enfants.
Rémi n’est pas la première personne handicapée à devoir fuir en toute hâte afin de garder la vie sauve ces dernières années. En 2016, trois femmes sourdes prises pour des loups-garous, ont été lynchées puis jetées dans un canal. Déjà, en juin 2021, 153 personnes handicapées et leurs familles qui habitaient le camp Lapiste à Delmas 2 avaient dû être déplacées à la suite d’un incendie criminel.
Environ 15% de la population haïtienne vit avec un handicap, selon les estimations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Cependant, c’est sans surprise que les personnes handicapées, en particulier les femmes et les enfants, sont les grandes absentes des statistiques autour des cas de violence. Dans un rapport du 16 août 2022 le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) faisait état d’au moins 52 femmes et filles victimes de viol collectifs et repetés durant le conflit à Cité soleil, sans pour autant citer les femmes victimes d’un handicap physique ou mental.
Quand on sait que les femmes victimes de problèmes mentaux en Haïti sont soumises au viol et aux maltraitances physique, il paraît impensable qu’il n’y ait pas une recrudescence de l’oppression de cette catégorie.
Dans un article paru dans Ayibopost, Sabine Lamour, féministe et professeure de sociologie à l’université pointait le danger constant auquel les personnes atteintes de maladies mentales font face dans le pays, en mettant l’accent sur le cas des femmes et des petites filles. Elle disait qu’il s’agit d’une violation des droits humains de la victime dans un cadre social qui ne protège pas ces personne.s
D’après Raymond Gaspard, statisticien, et professeur de statistiques à l’université, l’invisibilisation des personnes handicapées, en particulier des femmes, commence dans les recensements qui se font dans les quartiers. Les femmes étant la catégorie sociale la plus en danger dans le pays, elles sont les principales victimes des inégalités. C’est-à-dire que, quand il y a une catastrophe naturelle, elles seront les principales victimes.
En guise d’illustration, le spécialiste est revenu sur le tremblement de terre du 12 janvier, sur le cyclone Mathieu et sur le tremblement de terre du 14 août, afin de pointer le nombre considérable de femmes mortes, mais aussi toucher par les catastrophes.
On peut assimiler un handicap à un inconfort qui peut affecter une personne depuis la naissance ou au cours de sa vie. Notre cadre social est pensé pour les personnes souffrant du moins d’inconforts possible, c’est-à-dire celles qui n’ont pas de problème de vision, de locomotion, de parole etc.
D’après les information de handicap international, en 2016, suite au cyclone mathieu, l’ONU avait recensé environ 1500 personnes handicapées dans les trois régions les plus touchées (Nippes, Grand’Anse, Sud), dont une majorité de femmes. Et en 2021, sur les 1800 000 personnes victimes du séisme du 14 août, les femmes et les filles handicapées étaient parmi les plus touchées.
D’après lui, quand nous regardons les statistiques, les quartiers populaires sont principalement habités par des femmes, donc, il va de soi qu’elles seront dans le cas de celles qui souffrent de l’inconfort d’un handicap des victimes hautement à risque. C’est encore pire dans le cas de celles qui souffrent de plusieurs inconforts. Le plus souvent une personne née sourde sera aussi muette, donc dans l’incapacité de dénoncer son oppresseur.
Toujours sur Ayibopost, dans un article écrit par la journaliste Laura Louis et paru le 10 janvier 2021, “Les femmes sourdes sont plus vulnérables que les autres.”
D’après Bedjohanne Sulface qui milite pour le respect des droits des femmes en situation de handicap, elle-même aveugle et qui a été interviewée dans le cadre de cet article: si elle fait l’objet d’une attaque, l’agresseur peut craindre qu’elle parle. Alors que pour une femme sourde, même si elle crie, personne ne comprendra ce qu’elle veut dire.
Alertée par le problème, la fondation femmes haïtiennes aveugles, s’est associée à la Société haïtienne d’aide aux aveugles (SHAA) afin de prévenir sur les risques qu’encourent les personnes handicapées -les femmes aveugles dans ce cas précis- et essayer de mettre en place des systèmes de prise en charge.
Malgré l’appellation des organisations féministes à une meilleure prise en charge des femmes handicapées, surtout les plus vulnérables, l’Etat reste silencieux face à cette catégorie dont les maux sont encore plus invisibilisés qu’avant.
Melissa Béralus