Combien de fois ai-je entendu des plaintes, des mobilisations concernant le maigre salaire des médecins, des professeur.e.s et, surtout, des ouvriers? Or ce que gagnent les infirmières ne semble faire l’objet d’aucune protestation ou même d’une possibilité de considération. L’absence d’un salaire décent pour cette profession semble prendre appui sur des présupposés sexistes qui sont véhiculés sur une periode historique assez longue.
Le métier d’infirmière a longtemps été pratiqué exclusivement par des femmes. Perpétuant l’idée sexiste et rétrograde selon laquelle les femmes ont ‘‘une’’ place, un rôle : celle de servir les autres, que ce soit au foyer ou dans les métiers du care. Des métiers qui les relèguent au rôle second ont été attribués aux femmes et sans le vouloir, des générations de femmes l’ont intégré en elles. Il est courant d’entendre certaines d’entre nous évoquer une certaine vocation à les pratiquer. Mais, le vin-sens prend un sérieux coup quand nous persistons à croire que normal que que les les femmes devraient s’ intéresser à certains métiers ou occuper des postes parce qu’elles sont des femmes.
De l’origine du métier d’infirmière
Comme le souligne la philosophe et féministe française Simone de Beauvoir, dans son livre éponyme le Deuxième Sexe, l’histoire fait état de la prééminence économique et la rareté où l’on devait être très fort pour survivre. D’où la volonté de l’homme de prendre le pouvoir, avoir tout en main et ainsi assurer leur survie. Il en est de même des infirmières, qui, à la Renaissance, disposait des bonnes vielles méthodes de guérison, de remèdes de bonnes femmes capables de guérir des maladies mais les hommes ont écarté les femmes en les traitant de sorcières et en s’appropriant leur savoir. L’essayiste Monq Chollet dans son livre « Sorcières, le pouvoir invaincu des femmes » met un soin particulier à souligner cette éviction des femmes du champ du savoir. Elles ont été persécutées, tuées et seront reléguées au 18ème et 19ème siècle au rôle d’infirmière. Elles ont été obligées de se plier aux des restrictions faites aux femmes pour exercer la médecine. Ainsi, elles sont devenues infirmières, aide-soignantes. Oui, il fallait quelqu’un pour le faire mais la question est: pourquoi spécifiquement les femmes ?
Métier du Care
Le Care, c’est l’activité du soin donné à autrui, dit la psychologue Pascale Molinier. Il y a donc le métier de secrétariat, d’infirmière, de jardinière, les taches ménagères par exemple. sont ordinairement considérés comme des métiers de femmes. Même si auparavant, le secrétariat était plutôt pratiqué par des hommes mais délaissé ensuite aux femmes. Dans l’ensemble, les métiers où l’on doit prendre soin des autres, être attentifs pour savoir ce dont ils ont besoin pour y répondre sont appelés des métiers du : Care. Ces métiers sont pratiqués également majoritairement ou exclusivement par des femmes puisqu’on considère que : prendre soin des autres avec toutes les péripéties que cette responsabilité génère les convient bien!
Le patriarcat aidant, les rapports de pouvoir continuent à sévir dans les milieux de travail où évoluent les spécialistes de ces métiers. Il n’est pas étonnant que le patron claque des ordres et attende qu’on lui obéisse dans un boulot où tout le travail ingrat est incombé à l’assistante (la secrétaire, l’infirmière, l’épouse) donc de préparer le terrain pour que monsieur puisse faire son travail sans encombre. À vous de vous faire une idée!
Prenons le métier d’infirmière dont les professionnelles sont perpétuellement manquées de respect pour une broutille ou juste pour que les patients-es puissent passer leurs nerfs. Leur travail exige qu’elles soient toujours au top de leur forme même après une semaine sans dormir, toujours trouver le meilleur de soi à donner. Rester debout avec les malades pour suivre leur évolution quand tout l’hôpital dort (médecins, malades et autres responsables) parce que si quelque chose passe mal alors qu’elle faisait une petite somme, ce sera de sa faute. Assurer parfois le travail d’un médecin quand celui-ci disparait des radars et que la vie du patient file entre ses mains ; supporter les malades psychologiquement, moralement. Et pas seulement! s’assurer qu’ils ne manquent de rien, être les parents qu’ils n’ont pas tout en restant très professionnelles pour ne pas franchir les limites, pour éviter ce qui serait considéré comme un manquement à l’éthique et entraine des conséquences.
Salaire de misère ou pénitence de survie
Mais malgré le fait d’être un pilier dans le domaine de santé en Haïti, le salaire d’une infirmière diplômée la plus chère payée, que ce soit dans un hôpital de l’Etat ou dans une ONG, est de quinze mille gourdes (15 000), une infirmière nommée par l’Etat touche dans les vingt mille gourdes (20 000) et pour une infirmière diplômée dans un autre hôpital cela peut descendre dans les dix à douze mille gourdes (10-12 000) ; et une infirmière non diplômée est dans les dix mille et moins dans d’autres hôpitaux.
Les exigences qui accompagnent le métier d’infirmières sont aussi multiples que les complexes qu’on leur incombe durant leurs études. Elles intègrent le fait de devoir toujours être bien représentées esthétiquement -malgré le fait que leurs salaires ne leur permettent pas de manger à leur tout un mois- _comme elles disent d’ailleurs : yon bèl miss bon pou 101 maladi_ et doivent toujours être belles, courtoises ; afficher un sourire rassurant et un contrôle quand tout chamboule.
C’est préoccupant qu’une catégorie de personnes qui a la vie de la majorité de la population entre leurs mains tous les jours soient si peu rémunérées et sous valorisées. Cela n’empêche pas pour autant que des jeunes filles ayant terminé leurs études classiques veulent devenir infirmières. Cela demeure encore très accessible.
Surtout avec l’idée que les infirmières avec leur uniforme blanche et leur coiffe sont trop belles et que c’est plus facile de trouver un travail (ce qui, bien entendu, est très loin des faits). Dans des pays qui reconnaissent l’importance de ces métiers, comme les USA, le Canada ou la France, ces infirmières sont mieux traitées et payées généreusement. Il faut croire que certaines réalités, même si elles sautent aux yeux de tout le monde, on s’en fout, royalement. Et, tout perd leur véritable essence profonde à la fin, compte tenu des mauvais traitements. À se demander si ce n’est pas parce que c’est un travail exercé quasi-exclusivement par des femmes qu’il est si peu considéré et sous-payé !
Rodeline Doly