Le rap, un combat de femme

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Les difficultés rencontrées dans le milieu de l’industrie du rap n’ont pas empêché les femmes de gravir les échelons et de s’approprier la scène pour faire du rap une cause féminine. Cette émancipation des femmes dans le rap a commencé au milieu des années 1980 avec des rappeuses, majoritairement noires qui ont servi la cause féminine en se réappropriant les codes du gangsta rap masculin, en utilisant les mêmes mots violents et insultants. Elles ont choisi d’affronter le sexisme en affirmant et en revendiquant le droit à une vie libertaire sans tabou et de disposer de leurs corps comme bon leur semble, elles reprennent le contrôle et se réapproprient leur sexualité. À travers leur rap elles prônent une vie libertaire sans tabou et discrimination sur le corps féminin. Les femmes ont le droit de disposer de leur corps comme bon leur semble sans susceptibilité de se sentir humilié, de célébrer et de redéfinir elles-mêmes les critères de beauté (Lépinois 2019). Il existe alors chez les rappeuses haïtiennes une sorte de retour d’un discours jugé discriminant porté sur les femmes. Ces rappeuses se réapproprient dans un sens, les mêmes termes insultants et choquant contenu dans le discours misogyne de certains rappeurs haïtiens.

Cette réappropriation du discours de certains hommes dans le rap par des femmes qui ont intégré la scène, peut être traduite par un désir d’affrontement de ces femmes. Elle peut être également interprétée comme une sorte de renversement de la domination subie par les femmes : « rap pa m pa zozo men defwa l konn rèd tou […] m kòmanse di gwo mo, rele m Niska sweet micky « (Niska, Haiti female Mc’s, 2017).

Les femmes, en plus de cette réappropriation du discours, se réclament de leur corps, et affirme ouvertement leur liberté sexuelle en s’exprimant sans tabou sur le droit à une vie libertaire : « feeling pa m se lè m sou kabann ak pil nèg pou m ap jwi lavi m » (UX, Haiti female Mc’s, 2017).

Les femmes, dans le rap, à travers leurs textes dénoncent l’ensemble des inégalités dans la société, en chantant leurs réalités quotidiennes qui sont également les réalités de la classe dont elles appartiennent. Cet engagement dans le rap par les femmes n’est pas contraire à ce que font les hommes, mais ceci n’empêche pas que leurs travaux sont le plus souvent catégorisés en second plan. Ces attitudes par rapport à ce que font les femmes dans le rap est le résultat d’une certaine catégorisation de la société en rapport à un groupe d’individu dont on assigne des rôles et définis leurs limites pour une série d’activités. Le rap étant censé être une activité d’homme, de fait, les femmes non pas leur place et sont victimes d’un manque d’estime, malgré leur talent. On peut, dans cette perspective, affirmer que les rappeuses sont victimes de mésestime, qui selon Pourtois (2002) peut être une forme d’injustice et prendre des formes diverses.

Les femmes dans le rap ne sont pas, toutefois, épargnées des propos calomnieux et d’injures lancés à leurs égards. Face à ces situations, elles sont, dans de nombreux cas, contraintes d’abandonner leur métier de rappeuse et passer à autre chose, c’est ce que témoigne Marina 107 durant une de nos entrevues :

L’un des problèmes que connaissent les femmes dans le rap, c’est que sur scène, elles reçoivent tous types de propos ; on nous dit pétasse, bouge ton cul, fais bouger tes hanches qu’on te voit. Je recevais mal ces propos, ce qui m’a poussé à laisser la scène. (Marina 107, entretien réalisé le 7 mars 2021)

Le fait d’avoir du talent ne confirme pas la réussite d’une femme dans le rap, parce que c’est une catégorie qui est victime d’une injustice symbolique dans le sens que ce qu’elles font ne sont pas toujours acceptées et dans la majeure partie du temps sous-estimées. Charles Taylor soutient que : « Une personne ou un groupe de personnes peuvent subir un dommage ou une déformation réelle si les gens ou la société qui les entourent leur renvoient une image limitée, avilissante ou méprisable d’eux-mêmes » (Taylor 1994 cité dans Pourtois 2002 : 290).  En effet, il convient de dire que les rappeuses haïtiennes subissent un dommage en ce sens qu’elles font face à une image limitée que leur renvoient certains producteurs dans le rap. Ceci les place dans une condition de faible estime de soi, représentant un facteur important dans la construction de soi de tout individu, l’estime de soi est : « l’importance que l’individu s’accorde par rapport aux autres, grâce à laquelle il se situe dans la structure sociale. Elle apparait comme une évaluation de notre identité ; elle permet notamment de définir notre rôle dans les interactions sociales » (Fischer, 2010, 194), d’où l’importance d’avoir une forte estime de soi. Il est important de souligner que l’estime de soi n’est pas acquise une fois pour toutes. Elle est traduite par une sorte d’affirmation de soi qui permet de rester solide face aux jugements des autres et de faire face au conflit tout en étant réaliste (Chalvin 2007).

Les femmes rappeuses ne sont pas reconnues en tant que femmes pour leur talent, mais sont comparés à des hommes quand il s’agit de talent dans le rap. Ce déni de reconnaissance pousse encore l’attente de reconnaissance de ces femmes vers une lutte pour atteindre ce besoin d’être reconnu dans le milieu. Une femme rappeuse devrait, dans sa carrière, être reconnue comme telle et non comparé à un homme pour avoir sa légitimité dans le monde des talents sur la scène du rap. Nous avons pu remarquer dans les chansons de ces femmes, un discours relatant ce fait : « nou rap nan tout fason, gen sak mande si n pot kalson, vle konpare n ak tout gason » (DS, Haïti female MC’s, 2017) Pour cette rappeuse, il est évident qu’elle a beaucoup de talent, les gens qui l’auditionnent en arrivent à la même conclusion. Son talent est reconnu, mais ce niveau de talent étonne au point qu’on questionne le fait qu’elle soit un homme ou une femme.

Le rap étant un milieu fait par les hommes et pour les hommes, donc une femme qui est comparé à un homme est synonyme d’une femme qui a du talent et qui est accepté dans le milieu. Cette assignation peut être interprétée comme une classification sociale des différences de sexe où les rôles sont attribués en fonction de la classe sexuelle d’appartenance. D’où cette non reconnaissance du talent de la femme dans un milieu fait pour les hommes.

Le rap a constitué un défi pour les femmes, elles n’ont pas par ailleurs accepté les limites qui leurs ont été imposées. Elles ont gravi les échelons et se sont appropriées de la scène du rap pour s’affirmer en tant qu’artistes à la hauteur de l’art qu’elles ont choisi de pratiquer. Et aujourd’hui encore, certaines d’entre elles pensent que les femmes ne seront pas totalement émancipées dans le rap tant qu’elles ne le seront pas dans la société haïtienne.

Ludia Exantus

Références bibliographiques

Chalvin, Marie Joseph. 2007. L’estime de soi, apprendre à s’aimer avec ou sans les autres. 2e éd. Paris : Eyrolles.

Lépinois, Céline. 2019. « Rappeuses engagées envers la cause féminine ». Point culture. https://www.pointculture.be/magazine/articles/focus/rappeuses ? engagées-envers-la-cause- 

Pourtois Hervé. 2002. « Luttes pour la reconnaissance et politique délibérative » : Philosophiques 29 (2) : 287-309. https://doi.org/10.7202/006256ar.

Discographie

Burning, DS, Tracy Magic, Niska, UX, Tracy Trace, Haïti MC’s female, HMI 2017.


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