Le cancer des actes manqués

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Durant de longues heures creuses, cloitrée à la maison, le confinement a remis le compte des pendules à l’heure. Anne-Lynn s’est donc retrouvée toute seule avec elle-même, elle s’est penchée sur ce quelconque carnet de notes en guise de journal intime. Ce fut alors le déclic…

Qui suis-je ? Comment sera ma vie après le confinement ? Et avec quel visage le monde se réveillera-t-il désormais vu l’essor de la pandémie Covid-19 qui continue de tout chambouler sur son passage ? Aucun pays n’y a vraiment échappé, il s’agit bien d’une expérience à grande échelle planétaire. Comment vivre désormais avec la crainte de sortir tranquille au coin de la rue sans porter un masque, par peur d’attraper le virus ? Un paradigme qui détériore encore plus la qualité de vie médiocre et hypothéquée d’un pays démuni et démantelé au bord de la banqueroute : entre instabilité politique, manifestations récurrentes, insécurité croissante, kidnapping et banditisme. Pays sans chapeau, pays maudit ? Faut pas chercher trop loin car nous avions déjà été servi, et ceci bien avant la détresse mondiale dû au coronavirus mettant l’économie mondiale à genoux. En Haïti on a déjà tout vu et on a déjà vécu bien pire avec le « peyi lòk »…

  Qu’est-ce que je veux réellement dans la vie ? Pas d’écoles, les universités sont fermées… bref ! La distance s’installe donc dans les relations interpersonnelles. Pas d’amis à proximité – car ma maman m’interdit de fréquenter le voisinage peu recommandable, selon elle… – Sans oublier les coupures d’électricité répétitives ainsi qu’un très faible accès à l’internet. Ce fut un brusque changement face à mes activités et routines de vie: isolée dans ma propre maison loin de mes amis et mes camarades de classe. J’ai donc perdu mes repères… Il a fallu du temps pour me retrouver, et reconstruiremon univers en lambeau.

 Pourtant, j’ai appris avec du recul dans le silence effrayant de ce « Blackout peyi lòk », que rien n’est ni tout blanc ni tout noir, et qu’il fallait trouver un juste équilibre. Pour le moment, on habitait juste dans la mauvaise maison et le mauvais quartier… Car ma mère me répétait souvent : 

– Le choix de tes études déterminera ton avenir, il n’y a pas de meilleur investissement pour construire une vie en Haïti. Donc frotte-toi et maintiens de bons rapports avec ceux qui sont susceptibles de t’amener vers le haut, surtout ne néglige jamais de viser haut, très haut !

Cependant, incomprise et déboussolée, je dois faire face à mon destin car il faut grandir très vite dans cette presqu’île, de peur de se faire dévorer tout cru dans les affres des inégalités sociales fragrantes et sans pitiés !

Déjà qu’on ne vit pas sur ce coin d’île… On survit, c’est tout ! On s’arc-boute avec la vie, avec nos rêves, au jour le jour, prêt.e.s à forcer la main du destin. Moi, je m’accroche à tenir mon journal intime… Comment bien vivre si on s’étouffe sous les poids des ratures du temps ? Le cancer des actes manqués a défiguré totalement cette île.

Sarita C. Pierre

 


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