Dans le cadre de la Journée Internationale des Droits des Femmes, célébrée chaque 8 mars et, cette année, autour du thème « Égalité des sexes aujourd’hui pour un avenir durable», Mus’Elles a retracé, avec Yolette Andrée Jeanty de Kay Fanm, l’histoire de la première commémoration en Haïti, désormais considérée comme une date charnière dans le calendrier féministe haïtien.
Selon l’ONU, Organisation des Nations-Unies, « Chaque journée internationale représente une occasion d’informer le public sur des thèmes liés à des enjeux majeurs comme les droits fondamentaux, le développement durable ou la santé. Ces journées sont aussi l’occasion pour le système des Nations Unies, les pouvoirs publics et la société civile d’organiser des activités de sensibilisation et de mobiliser des ressources. »
Une initiative à l’origine « socialiste »
Ainsi, la Journée Internationale des Droits des Femmes, célébrée le 8 mars, n’échappe pas à ce principe. En effet, c’est une date qui met en exergue la thématique du droit de la femme et qui permet de faire une rétrospection de la lutte afin d’évaluer les avancées obtenues et de repenser les stratégies pour l’obtention de l’égalité et l’amélioration de la condition féminine partout dans le monde.
En effet, l’histoire révèle que la Journée des Droits des Femmes tire son origine de deux autres journées issues du mouvement socialiste qui sont le « Women’s day », initié par les femmes socialistes américaines le 28 février de 1909 et célébrée ensuite le dernier dimanche du mois de février aux USA, et la « Journée Internationale des Femmes » initiée par la militante socialiste Clara Zetkin, présidente alors du secrétariat de l’organisation européenne Internationale Socialiste des Femmes ( ISF), le 19 mars 1911, lors de la seconde conférence internationale des femmes socialistes qui s’est tenue à Copenhague. La journée « internationale des femmes » aura par la suite une date fixe en 1917 qui sera le 8 mars.
Dans une interview accordée à Mus’Elles, Yolette Andrée Jeanty, Administratrice à Kay Fanm, raconte qu’en Haïti, la première commémoration de la Journée Internationale des Droits des Femmes remonte à 1988. Plus précisément, le dimanche 6 mars 1988. Il s’agissait d’un rassemblement populaire autour des droits des femmes organisé dans le but d’inciter à plus d’intégration, d’implication au sein des groupes de base et également pour faire connaître la lutte collective que mènent les femmes à travers le monde pour changer le statut des femmes.
A Port-au-Prince, l’événement s’est déroulé devant les locaux de l’organisation féministe logée à l’époque à la rue des Remparts, en plein milieu du marché public du portail de St-Joseph. L’activité n’était pas célébrée en petit comité. Elle a réuni plus d’une centaine de personnes qui ont entonné et répété en chœur – et avec force – les revendications et slogans qui avaient été lancés par Kay Fanm ce jour-là.
Une initiative « post-dictatoriale »
A l’époque, la pratique de travailler ensemble n’existait pas entre les structures féministes qui, pour la plupart venaient tout juste de se créer. Cette première commémoration a eu lieu à la seule initiative de Kay Fanm, non pas seulement à Port-au-Prince, mais également à Baudin (Sud-Est), Désarmes (Artibonite), Miragoane (Nippes) où trois équipes étaient sur place pour poursuivre le travail de structuration entamé avec les « racines » ou groupes de base issus de l’organisation, a expliqué Mme Jeanty.
Haïti sortait tout juste du règne dictatorial des Duvalier. Le contexte sociopolitique marquait l’arrivée des organisations populaires et le retour des partis sur la scène politique. C’était un moment de grande liberté d’expression avec, pour toile de fond, une économie délabrée et des inégalités sociales criantes. Mais, il se dégageait du côté du peuple une volonté de reconstruire le lien social sur les bases d’un système démocratique.
Ici en Haiti, la Journée Internationale des Droits des Femmes a été célébrée tardivement parce que « Nous les femmes, nous vivons dans un pays, dans une société où les politiques, les orientations que cette société adopte ont un effet direct sur nous », renchérît-elle. Kay Fanm est née en 1984, mais c’était dans la clandestinité, en pleine période d’une dictature qui s’est achevée en 1986. À cette époque, les organisations de la société civile n’avaient pas le droit de fonctionner comme on le fait maintenant. Le respect des droits des femmes exige la construction démocratique. Il est clair qu’il n’y avait pas à ce moment-là un environnement démocratique pour célébrer le 8 mars, enchaine-t-elle.
Des archives parties en fumée
Malheureusement, Kay fanm ne dispose plus d’archives de ce grand moment de leur histoire, parce qu’après la chute des Tontons Macoutes, il y a eu d’autres épisodes de pouvoirs militaires anti-démocratiques. Kay Fanm a été ciblée parce qu’elle pose la problématique des droits des femmes dans un contexte national, avoue-t-elle lors de l’entretien.
Et en tant qu’organisation féministe, toutes les questions nationales les intéressent. Kay Fanm se positionne donc par rapport aux questions sociales et politiques, et cela pose souvent problème en fonction de la conjoncture politique. Le premier local de Kay Fanm a ainsi été incendié lors du coup d’État militaire de 1991. Toutes les archives de cette période sont donc parties en fumée.
Thara Layna Marucheka Saint Hilaire