L’attente

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Même université, même faculté, option différente, une année d’écart, des cours en commun, un prénom monosyllabique, facile à retenir. C’est tout ce que je savais de lui. Et ce fut la base de notre histoire.

Je le voyais sur la cour, je le regardais rire avec ses potes, je l’admirais lisant paisiblement ses romans. J’étais de toute oreille quand il intervenait en cours, j’adorais le regarder rire, ses diastèmes faisait mon bonheur. Son visage, ses tenues, l’éclat de sa peau son air distant et sérieux, sa corpulence tel un petit géant. Il avait l’air robuste, mais je flairais sa fragilité à des kilomètres et cela ne faisait qu’augmenter mon envie de le connaitre. Chaque sourire, chaque regard, chaque geste me fascinait. Il était d’une simplicité remarquable, j’avais trouvé ma muse. Il était mien, j’aimais l’idée que j’avais de lui, j’aimais la personne que je décrivais sur mes pages blanches, j’aimais la couleur qu’il pourrait apporter à ma vie terne. Pourtant je détestais l’envie que j’avais de matérialiser mes envies. J’avais peur que la réalité bousille tout mon construit, alors je luttais avec mon esprit. Je voulais être avec lui d’une part et de l’autre je préférais rester dans l’ombre et vivre une merveilleuse relation avec l’homme que j’ai créé à son image. Il était de plus en plus présent dans ma tète. Ses absences en cours augmentaient et mon amour pour lui grandissait au même rythme : moins je le voyais et plus je le désirais.

Je voulais lui parler, j’ai essayé maintes et maintes fois, mais il était comme l’un de ces trucs exposés dans ces magasins hors de prix et moi cette passante fauchée qui ne peut rien faire d’autre que la lèche vitrine. Alors, quand il était là, je ne faisais que l’admirer et imaginer. J’imaginais la scène de cette première conversation. Je vivais le moment dans ma tète, et à chaque nouvelle journée, je me disais que c’était la bonne, qu’aujourd’hui j’allais enfin tout lui dire, mais à chaque nuit j’étais encore à la case de départ.

Cela faisait 4 ans, que d’un amour silencieux je l’aimais, et c’était ma dernière année, je devais à tout prix lui parler. Tel un braqueur, je devais briser cette vitre. Alors cet après-midi là, je me suis lancée. La salle était surchargée, étudiants de deux options réunis, les places manquaient, les va et vient ne cessaient pas. Je me suis débrouillée pour trouver une place non loin de sa place habituelle. Mon cartable de textes en main, je récitais un texte que j’avais pris soin d’écrire la veille pour l’événement. J’attendais avec impatience ma muse, je fixais la porte d’entrée, je regardais sans cesse ma montre, je n’écoutais pas du tout le prof et je n’ai pas pris au sérieux cette annonce mortuaire. J’attendais, le cours prit fin, j’attendais encore… 6h du soir, plus d’autres cours. Déçue, je me levai, cartable en main, texte en tête, je devais rentrer et planifier une nouvelle fois cette première prise de contact. Ce soir la, dans ma chambre, j’ai relu mes 110 textes, et a chaque texte relu, ce fut un retour dans le temps. Je voulais avoir ce mec en vrai, ne serait ce que pour un court instant. Un vrai baiser, un sourire de lui qui me sera entièrement dédié, je voulais caresser son visage, je voulais vivre au moins l’un de mes fantasmes. Ce soir la et tous les autres soirs qui s’en suivirent, j’ai rêvé de lui, j’ai rêvé de nous.

Même université, même faculté, pourquoi pas même lit, même passion, même amour. Encore une aube avec mon secret, avec mes textes, avec mes sentiments. Je devais lui parler et si je n’y arrivais pas mes textes le feront à ma place. Décidée, je me rendis de très tôt à la fac, assise au premier rang, les yeux rivés sur la porte d’entrée, les jambes croisées, la posture idéale pour poireauter… le prof rentra, le cours me paraissait long, plus long que mes quatre années d’attente, le prof s’en alla… Je demeurais figée dans ma position, ma muse ne donnait pas signe de vie, mon cœur s’éteignait, mon espoir s’étouffait dans le feu ardent du regret… et dans l’instant, toute une série de questions me montaient à la tête : pourquoi ne vient-il pas ? Pourquoi ai-je attendu si longtemps pour lui parler ? Avec qui vais-je partager ce lourd secret ? N’a-t-il pas survécu ? N’ai-je vraiment pas droit à une seconde chance ? Pourrais-je supporter cette douleur ? A-t-il souffert ? Que ressentent les gens qui le côtoyaient ? Est-il trop tard pour espérer un miracle ? Alors c’était vrai tout cela ?

Mes larmes étaient dans une impasse , mon ego les retenait et ma tristesse leur montrait le chemin de mes oculaires déjà rougis par le remords. Je sentais mon cœur qui crispait. Mais je devais garder espoir, je devais continuer d’attendre et c’est ce que j’ai fait… j’attendais qu’il rentre dans la salle. Aujourd’hui, encore j’attends d’avoir de ses nouvelles, j’attends son retour, car j’ignore où il est et lui ignore mon amour…

Je suis toujours à l’université et j’attends passionnément le retour de ma muse. J’attendais et je continue d’attendre, cartable en main, cœur en miettes. Je l’attends pour lui dire ma passion. Et quand je n’aurai plus mal, quand tous les liens entre mon cœur et mon esprit seront défaits, quand le poids écrasant de son départ ne fera plus d’effet sur mon âme déjà endolorie, quand son image cessera de me hanter, quand tout sera moins gris, quand je pourrai enfin me regarder dans le miroir sans voir son reflet, quand le son de sa voix ne résonnera plus dans l’écho de mes silences, quand tout souvenir de lui s’effacera , quand mes peurs se disperseront, quand mon cœur ne sera plus aride afin que toute semence de l’amour puisse y germer à nouveau, quand je pourrai enfin me débarrasser de l’envie d’être avec lui, à ce moment la, je pourrai à nouveau me remettre à écrire, à faire de la poésie ma passion .

Mais , en attendant, j’attends les yeux rivés sur la porte d’entrée à chaque cours, j’attends un miracle, j’attends qu’on me dise que la nouvelle de sa mort n’est qu’un canular, que l’accident n’a jamais eu lieu, j’attends qu’on me sorte de ce cauchemar, j’attends son retour pour me remettre à écrire, je l’attends pour me remettre à l’aimer passionnément.


Eutaly Syntya Belizaire


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