Ce n’est plus une tasse mais des morceaux d’effrois tout juste bons à jeter sans aucune considération pour toutes ces années de services rendus. Je ne voulais pas qu’il finisse dans mon estomac. Pour ça, j’ai préféré perdre ma tasse. Il était là à la surface de mon café, il portait ce sourire fier et gracieux qui savait me mettre de l’eau à la bouche. Brillaient sur moi ses deux boules de mystères que j’aurais aimé décrypter un jour. Mon cri formait avec le bruit sec de la tasse brisée un duo assez remarquable pour alerter Sarah, ma douce fille de sept ans qui est venue me demander si je n’étais pas blessée. Quand je lui ai répondu que mon corps non mais mon cœur oui. Elle m’a demandé si j’avais avalé un morceau de tasse, l’innocence qui accompagnait la question m’a arraché un large sourire, la même innocence qui habitait son visage quand j’ai surpris Jimmy le pervers pro féministe en train de lui faire une bise sur la bouche, trois ans de cela. Sans réfléchir, je lui ai foutu dehors. Et depuis, j’évite d’amener un homme à la maison. Et maintenant que Renaud s’amuse à habiter chaque recoin de mon être, qu’est-ce que je suis censée faire ? Pourquoi il a fallu que je retombe sur lui tant d’années après ? Quand j’ai parlé des retrouvailles à ma mère, j’ai été étonnée de voir autant de joie sur son visage et autant d’enthousiasme dans ses réponses. Ce n’est pas qu’elle n’a pas le droit d’être contente pour sa fille, mais c’est elle qui m’avait poussée à quitter Renaud mon premier amour, elle ne voulait pas en entendre parler parce qu’entre sa famille trop modeste et son boulot qui lui rapportait peu à l’époque, il était mal placé pour posséder le cœur de sa fille. “De mèg pa fri” répétait-elle comme une litanie. Elle a tout fait pour que je laisse le Cap-Haïtien. Elle m’a confiée à ma marraine qui habitait l’un de ces quartiers chics de Port-au-Prince. Comme on dit loin des yeux…
Aujourd’hui, Renaud est mon concurrent sur le marché textile. Je l’ai revu et tout ce qu’on a vécu est venu s’imposer à mes pensées. Enfin, qui suis-je pour que mon être ne se ploie pas au souvenir de son corps ? ce cocktail de grâce et de virilité qui fait saliver le diable. Je le porte en douleur dans mon cœur et en mille milliards de frissons dans mes reins. J’ai honte de le dire mais je remercie presque cette COVID-19 qui m’oblige à ce confinement sinon Dieu seul sait quelle bêtise je ferais en ce moment. Étonnée de me voir déjà dans la cour, je rebrousse chemin pour aller nettoyer tout le bazar. J’entends un cri.
Oh! Sarah! La tasse brisée !
Négresse Colas
J’adore…..