L’apparition des nouvelles technologies a modifié notre rapport aux autres et a brouillé les frontières entre ce que nous considérons comme intime et publique. Nous avons redéfini nos relations interpersonnelles pour qu’elles suivent un mode de communication instantané et indirect : nos échanges ne s’arrêtent quasiment jamais, même si nous ne sommes plus en présence physique de l’autre, et ils sont désormais médiés par des outils technologiques qui les rendent permanents et constants.
Plaidoyer pour le respect de l’intimité de l’autre
Selon Marion Ballon, les NTIC constituent un lien entre le monde physique et le monde virtuel, une sorte de continuum de l’intimité dont la protection n’est pourtant pas assurée. Malgré cela, la sexualité fait rapidement surface dans nos conversations quotidiennes. A la place des lettres enflammées que nous écrivions avant et qui pouvaient tomber dans les mains de n’importe qui, nous retrouvons désormais le sexting, une nouvelle forme de communication qui permet l’échange de textes, photos ou encore vidéos sexuellement explicites ou suggestives.
Ce type d’échange, classique en termes de contenu mais radicalement neuf du point de vue de la forme et des médias utilisés, est vécu comme positif dans les relations saines. Ainsi, le sexting ne serait pas problématique tant qu’il est consenti et que les parties respectent l’intimité de chacune en ne distribuant pas les messages. Sans quoi, le partenaire abuse de la confiance de l’autre. Il n’est donc pas nouveau d’échanger sur la sexualité autrement que dans un espace physique privé et en présence de la personne, mais au lieu de coder nos messages comme certains codaient leurs lettres, nous supposons que nos mots de passe suffisent à protéger nos échanges.
Pourtant, au-delà des plateformes elles-mêmes et des protections que nous mettons en place, nous comptons plus que tout sur les autres utilisateurs pour respecter notre intimité. On ne peut oublier le côté humain des échanges et la confiance que nous plaçons en leur discrétion ou leur silence. Même si nous partageons pour et avec les autres, nous choisissons encore avec qui nous le faisons. Le revenge porn révèle que cette confiance peut être brisée à chaque instant et qu’il existe un certain nombre de facilitateurs à cette pratique.
« Revenge porn » : un fléau silencieux?
Le revenge porn (ou vengeance pornographique) se caractérise par un contenu sexuellement explicite qui est publiquement partagé en ligne sans le consentement de la personne apparaissant sur le contenu, dans le but de se venger avec le nom de la victime sur les réseaux sociaux. Le revenge porn s’inscrit dans un contexte de violences sexistes dont le but premier est de punir les femmes de ne pas respecter les normes mises en place pour elles.
Aujourd’hui, en Haiti, nous sommes confrontés à des situations de ce genre (dans le cas du cyber harcèlement) où des hommes utilisent des photos privées communément appelés « nude » ou « photos sexy », les publient sans le consentement de la femme sur les réseaux. Ce qui est inadmissible et répréhensible dans ces situations, c’est l’usage qui a été fait de ces images et de ces vidéos: à savoir, à la fois leur diffusion sans le consentement mais aussi les repartages et les commentaires dégradants ou humiliants qui y sont associés, pouvant contribuer à faire circuler des rumeurs. Plutôt que de culpabiliser les filles pour ces contenus, il est important de replacer la responsabilité auprès du diffuseur et des relayeurs : diffuser des contenus sans l’accord de la personne est une atteinte à la vie privée. Propager des rumeurs, lancer des propos insultants : tout cela peut avoir des conséquences graves psychologiques et sociales pour les victimes. Selon Liesbet Stevens, de nombreuses recherches montrent que cette diffusion peut avoir des conséquences très graves pour les victimes, c’est vraiment une forme de violence sexuelle virtuelle. Les victimes ne disposent que de quelques heures pour s’assurer que ces images pourront être retirées définitivement d’internet.
Toutefois, la stigmatisation que les femmes connaissent suite à la distribution des images les empêche d’être reconnues comme victimes, elles sont responsables. Le soutien est rare, voire inexistant et la victime doit se débrouiller seule tandis que l’agresseur n’est que peu ou pas inquiété.
Au-delà des valeurs patriarcales, les nouvelles technologies entraînent une revictimisation constante. Les images peuvent être rediffusées à l’infini ou bien ressortir des années après puisqu’une fois mise en ligne, elles ne disparaissent pas de la toile. Elles peuvent se retrouver sur plusieurs sites ou avoir été montrées à plusieurs personnes sans que la victime ne soit jamais au courant.
Lourdes conséquences psychologiques
Les conséquences psychologiques et économiques du revenge porn s’étendent sur le long terme et peuvent prendre des formes très variées allant de l’embarras à la perte de son travail, en passant par l’abus d’alcool, la dépression ou encore le stress post-traumatique. Les femmes dont la réputation a été entachée par une violence sexuelle sont souvent mises à l’écart et dénigrées. Même si elle pose problème sur plusieurs points, la série de Netflix « 13 Reasons Why » illustre bien les dégâts que peut causer la diffusion d’images intimes.
Pour rire, Bryce envoie des photos de Hannah à toute l’école et sa réputation en prend un coup : on commence à la voir comme une fille facile. S’ensuit une série d’agressions où les garçons la touchent, lui font des commentaires dégradants, et où tout le monde légitime ces comportements puisque Hannah « l’a bien cherché ». La rumeur ne fait qu’empirer, mêlant monde virtuel et monde physique et conduisant Hannah à être de plus en plus isolée et à se renfermer sur elle-même. Lors d’une soirée, elle est violée par Bryce qui justifiera son acte par l’attitude de Hannah, sa notoriété d’« allumeuse »et ses propres représentations sexistes. La diffusion des photos ayant provoqué tout le reste, Hannah en arrive au suicide.
Vide juridique haïtien
Dans ce genre de situation, il n’existe pas encore une texte de lois qui régit ces genres de situations, la loi haïtienne est muette à ce sujet. Cependant, d’après l’avocat-administrateur Robenson Désir, il faudrait faire appel dans ce cas à la jurisprudence.
Dans les plus communs des cas, la meilleure façon de réagir en cas de revenge porn, pour la victime ce serait ne pas rester seule, ne pas répondre aux commentaires « don’t feed the troll », se déconnecter de tous ses comptes et de conserver des preuves en cas de poursuite judiciaire, de s’entourer des associations impliquées dans l’accompagnement des victimes en cas d’harcèlement sexuel comme « Nègès Mawon », Fondation TOYA, etc. Il est ainsi conseillé de demander des retraits du contenu en le signalant sur toutes les plateformes d’où il a été partagé.
Toutefois, les commentaires sont toujours à caractères stéréotypes sur ce qu’on attend ou ce que devrait être une fille ou un garçon. En effet, le cyber harcèlement réduit les filles à leur apparence physique en cherchant à contrôler leur sexualité et survaloriser la sexualité masculine. Le public est souvent composé de beaucoup plus d’hommes et parfois de femmes dégradant la sexualité de la victime et de la rendre coupable.
Que faire en cas de « revenge porn » ?
Cependant, si vous êtes témoin d’un revenge porn, essayez d’adopter ces comportements devant nous amener, par exemple, à supprimer la photo ou la vidéo, à ne pas faire de commentaires dégradants ou humiliants, à signaler la photo ou la vidéo, à ne pas culpabiliser la victime, mais plutôt à la soutenir si possible.
Ainsi, on peut dire que le revenge porn est une violence en elle-même, mais qu’elle ne peut être dissociée des autres formes de violences à l’égard des femmes. Les conséquences sont variables en fonction des situations et des personnes mais elles ne sont en aucun cas anodines ou ne devraient imputer la responsabilité à la victime. Courage à toutes ces femmes et filles qui ont subi ces genres d’actes, sachez que vous n’êtes pas coupables mais l’auteur de l’acte en est responsable. Force à vous !
Shesny Taina Dupont