Burning est une jeune rappeuse et cameraman. Elle est parmi les grandes stars du rap féminin en Haïti. Elle est une grande passionnée de la musique, spécialement du rap. Elle utilise le rap comme canal pour parler d’elle, de ses passions, mais aussi de ses croyances. Elle raconte ce qu’elle a vécu pour pouvoir sensibiliser les autres à prendre conscience de leur condition de vie.
Dans la chanson fanm yo la, une voix annonce le début de la chanson avec une mélodie de fond rythmée d’une mesure à quatre temps, 4/4. La partie chantée commence sur cette mélodie qui disparait pour faire place à un beat sur deux temps qui commence avec les premiers vers de la rappeuse, une musique de fond accompagne ce beat. La première mélodie réapparait avec la reprise du choeur.
Cette chanson peut être interprétée comme une apologie de la femme dans la société haitienne. La femme y est présentée comme symbole de force et de fierté. C’est une chanson à deux voix où la rappeuse se fait accompagner d’une chanteuse. Le début de la chanson s’annonce comme un appel aux femmes pour sortir de leur silence. Le premier choeur ainsi chanté :
Di yo fanm yo la,
Nou pap vann diyite n pou ti 100 dola.
Nou chak se yon rèn ki merite yon wa a, ann nou leve vwa nou,
Fè yo tande vwa nou.
https://youtu.be/_vrXt1GMB1Y
Cet appel peut être considéré comme un appel des femmes haïtiennes à porter leur voix, à dire qu’elles existent et qu’elles ne doivent pas être mises en marge de la société parce que leur voix compte aussi comme celle des hommes. C’est aussi comprendre la dimension de banalisation faite du corps de la femme, dans le sens où la femme est toujours sujette à des indécentes propositions dans toutes les sphères et à tous les niveaux de la société.
Cet appel aux femmes à sortir de leur silence semble s’adresser aux hommes : « chacune de nous est une reine qui mérite un roi » renvoie à l’image d’être sensible de la femme qui a besoin d’un protecteur. Ceci peut être aussi interprété comme un renforcement de l’hétéronormativité établi par la société. Toutefois, les reines n’occupent pas les mêmes rôles que les rois dans un royaume, elles ne sont pas forcément impliquées dans la politique et n’ont pas tout le temps leur mot à dire. Ce discours peut être lu dans un contexte d’assignation du rôle subalterne de la femme par rapport aux hommes. Et implique une dimension de besoin de protection qui est toujours attribué à la femme comme être faible et sensible. En ce sens Linda Nochlin avance ceci : « Il s’ensuit que le sexe faible étant par nature si démuni et le sexe fort par nature si agressif, les vraies dames ne doivent pas compter sur ellles-mêmes mais sur leurs mâles défenseurs » (Nochlin, 1993, p. 21) .
Et, cet appel permet aussi de comprendre que ce cri des femmes doit etre adressé aux hommes : « portons nos voix vers eux », est lancé comme une demande de liberté à son opresseur. Il existe une sorte de discordance dans cette première partie de la chanson, dans la mesure où la femme est toujours assignée à l’homme dans un sens, comme si elle n’en devait se détacher, il montre que l’existence de la femme est tributaire à celle de l’homme et pour que la femme atteigne son épanouissement, elle doit vivre comme une reine, non seule mais toujours avec son roi. C’est une légitimation implicite de la domination masculine. Bien que la chanson ait un contenu critique des rapports de domination que subissent les femmes.
Le contenu de cette chanson met en lumière des femmes de la société haïtienne connu pour leur engagement dans la lutte pour le respect des droits de la femme. Les artistes, toutefois, n’écartent pas de leur discours le modèle de femme imposé par la société. Elles ne s’éloignent pas de cette représentation du corps de la femme comme objet perçu. Les femmes existent par et pour le regard des autres comme objet attrayant et disponible (Bourdieu, 1998) . On attend toujours d’elles qu’elles soient féminines, c’est-à-dire, souriantes, soumises, sympathiques, attentionnées, sensibles, voire effacées et surtout belles. Ce qui est dit dans la première phrase de cet extrait montre que la femme est invitée à répondre à cette attente :
Sois belle et tais-toi,
Non, sois toi et t’es belle.
Détrônable même devant toutes les merveilles.
Message à la jeunesse féminine :
Kenbe sanfwa n, koz yo trè tenas, yo pral vle jwe nan dènye bout anba n,
Sitou pou mizisyèn yo fò nou pran pil prekosyon,
Pa kite foli manje griyo fè n tonbe nan bere kochon.
Dèye chak Bien-Aimé gon Gaëlle ou Daiva. […]
Stil fanm ki pa bezwen mekòp pou l mache a mas,
Fanm ki edike, ki bèl, ki seksi kou Farah Mars.
Nou bezwen polisyè, enfimyè ak enperatris,
Fanm ki pa kwè nan bote, ki gen tèt tankou l’imperatrice.
Tout en invitant la femme à être féminine, la rappeuse les invite également à rester sur leur garde face à certains hommes de l’industrie musicale haïtienne qui considèrent la femme comme objet sexuel. Cette mise en garde spécifique pour les femmes musiciennes est une forme de dénonciation du harcèlement et des violences sexuelles et sexistes dont les musiciennes sont victimes dans l’industrie musicale haitienne.
La rappeuse parle de beauté comme chose essentielle et naturelle à la femme. Elle décrit la beauté dans un premier temps comme un critère de féminité « femmes éduquées, belles et sexy ». Et dans un second temps la beauté apparait comme chose acccessoire et non importante pour définir une femme, « des femmes qui ne croient pas en leur beauté mais qui ont une tête bien faite… ».
Les artistes présentent plusieurs femmes haïtiennes qui évoluent dans des domaines différents, mais la majorité dans le milieu artistique. Ces femmes sont considérées comme des femmes qui se battent tous les jours pour obtenir leur place. Ce combat est mis en lumière dans cette chanson et est également soutenu :
Nou se fanm senti mare,
Ki pap vann pantalèt,
Nou gen karaktè
Jouk nou mouri n ap ret konsa nèt. […],
N ap ret fyè tankou Manzè
E n ap fè konba nèt.
Le contenu de cette chanson permet de comprendre que la lutte des femmes est quotidienne et que cette lutte est défendue et chantée par d’autres femmes. Il montre aussi que la place de la femme dans la société est toujours définie en rapport à celle des hommes. Et ces femmes sont conditionnées à définir leur rapport à celui des hommes dans un contexte hétéronormé où la société attend d’elles qu’elles soient féminines. Mais, tout ce conditionnement des femmes dans la société ne les empêchent pas de dénoncer les inégalités de genre, de réclamer des droits de la femme, droits d’être entendu et d’être traitées dans le respect. Le fait pour ces artistes de mettre en lumière ces femmes de la société haïtienne qui luttent pour les droits des femmes et l’émancipation totale de la femme haïtienne peut-être interprété comme un soutien à cette lutte. Et aussi, une demande à d’autres femmes de s’inspirer de la bravoure de ces femmes pour mener leur propre combat et apporter leur pierre à la lutte constante des femmes dans la société haïtienne.
Ludia Exantus