Evelyne Trouillot, une plume bien trempée dans l’encre de l’histoire

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« La mémoire aux abois », bouleversant roman de 140 pages de l’écrivaine émérite Evelyne Trouillot, déterre un pan entier de l’histoire politique d’Haïti et répond, par la fiction, à un devoir de mémoire. Retour sur une œuvre bien ficelée, récipiendaire du prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde en 2010.

Publié en 2010 aux éditions Atelier Jeudi soir en Haïti, « La mémoire aux abois » est un texte fort qui n’a de cesse de marquer l’esprit dès la première lecture, car compte-tenu de sa densité historique et symbolique, c’est un ouvrage à lire plus d’une fois pour mieux se l’approprier et l’assimiler à la fois comme œuvre littéraire et patrimoniale. L’autrice, connue pour sa plume très documentée et ancrée dans l’histoire haïtienne, nous a livrés une œuvre magistrale, bien ficelée, qui porte, au moyen de la fiction, sur les témoignages, les blessures et héritages d’une époque charnière dans la vie sociopolitique en Haïti.

Il s’agit d’un récit qui met en alternance deux voix que le destin a réunies comme un joli quiproquo par échu du sort. Le roman est divisé en trois grands axes ou chapitres qui nous happent dès le début par des titres en binômes : « L’héritière et la mère », « La première dame et l’écolière » et enfin « L’épouse et L’orpheline ».

La jeune fille s’appelle Marie-Ange, à peine orpheline et qui fonce dans la vingtaine ; il y a la vielle dame Odile, veuve et ancienne Première dame. Marie-Ange est la fille de « Marie-Carmelle qui a portée toute sa vie les horreurs de la période Dorévaliste », victime par procuration d’un lourd héritage et des dommages collatéraux d’une dictature sanglante dont plusieurs membres de sa famille sont portés disparus ou sont morts brutalement beaucoup trop tôt, comme c’est le cas de son oncle Jean-Edouard qu’elle n’a jamais connu. Bien qu’ayant réussie sa vie très loin de l’île, installée et travaillant en banlieue de Paris accomplissant le vœu de sa mèrerécemment décédée. Et pourtant, le destin a voulu que ce soit elle qui prenne en charge les derniers jours de la vielle dame.

On comprend donc au fil du récit le titre très révélateur,  « La mémoire aux abois ». Il s’agit en fait de la chronique des derniers souvenirs et jours mémorables de la vielle dame qui tente de réorganiser son esprit et ses pensées au soir de sa vie. Ses moments de gloire comme ceux entachés de regrets et d’actes manquées qui auraient pu mieux accomplir sa destinéede 1ere dame et la vision de son époux dit « Le défunt ». L’autrice joue presque à la parodie et utilise des jeux de mots comme « Alexandreville », « Papa Fab », « Dictature Dorévaliste », « île Quisqueyenne » ainsi que des dates précises et des témoignages poignants pour bien illustrer les ravages de la période très connue du régime en Haïti. Ce roman, prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde en 2010,  répond à un devoir de mémoire, à une urgence de déterrer de l’oubli un pan entier de notre histoire. 

Sarita Cynthia Pierre


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