“Le théâtre m’a sorti du trou pour m’exposer face au soleil avec qui je commence à briller.”
Compte tenu de la situation socio-économique, faire le métier de ses rêves reste encore une chimère pour beaucoup de jeunes en Haïti. En dépit de nombreux obstacles et opportunités ratées, Elisabeth Jasmé s’est décidée à étreindre pleinement le métier du théâtre. Un tête à tête avec la comédienne de la Compagnie Palto Vanyan sur les enjeux et défis de ce secteur.
Née à Port-au-Prince, Elisabeth Jasmé va bientôt souffler sa première bougie en tant que comédienne professionnelle. À en croire la vingtenaire, les embûches n’ont pas été moindres. En effet, son coup de foudre pour le théâtre va avoir lieu à l’âge de 14 ans, lors d’un atelier animé par les comédiens : James St Félix et Staloff Tropfort.
Rapidement grande désillusion pour la fillette d’alors, qui va se voir refuser l’accès dès le second jour. “J’ai eu un retard de deux minutes, ils m’ont interdit de suivre l’atelier. J’ai passé la journée à pleurer derrière la porte. Personne ne pouvait me consoler, on a même essayé de les convaincre de me laisser une chance, ils n’ont pas voulu. Les responsables de l’activité n’ont rien pû faire”, se remémore l’ancienne élève du lycée Marie Jeanne.
La perte d’une telle opportunité va lui laisser un goût amer à la bouche. Une erreur qu’elle passera 4 ans à regretter.”J’ai raté l’opportunité de jouer sur une scène. J’ai été ravagé par une haine contre l’un d’entre eux, car c’est lui qui avait insisté pour ne pas me laisser participer à l’atelier”. Néanmoins l’étudiante l’école d’art dramatique ACTE a fait la paix avec ce dernier et ne le tient plus rigueur.
Suite à ce malheureux événement, l’étudiante en Lettres modernes à l’Ecole Normale Supérieure affirme chercher comme “une dingue” où faire du théâtre. Mais sans succès. “Je n’ai pas baisser les bras j’ai continué à bercer dans mon cœur ce rêve”. Dans son parcours de titan, Elisabeth Jasmé va trouver une affiche du Festival 4 chemins et ainsi elle commence à suivre des spectacles de théâtre. Promptement, elle manifeste le désir d’en faire. Désireuse d’intégrer l’ENARTS, elle ne réussit pas l’examen d’entrée. Une situation qui anéantira ses espoirs. “J’avais perdu toute confiance en moi”.Toutefois sous les conseils et encouragements des personnes comme Staloff Tropfort, James St Félix, Marc Édouard Jean, elle surmonte cet echec et intègre ACTE.
Au bout du compte, grâce au festival Rezistans, celle qui est diplômée en technique bancaire va rencontrer et intégrer la Compagnie Palto Vanyan, soit 10 mois de cela.Travaillant sans relâche, la jeune femme pouvait compter sur les remarques de ses aînés et réalisait enfin le plus grand rêve de toute sa vie. “Le théâtre m’a sorti du trou pour m’exposer face au soleil avec qui je commence à briller”, révèle-t-elle.
La comédienne professionnelle, fière de son statut veut aller à la limite de la perfection. Car pour elle, être sur scène c’est exister dans la peau de l’autre. C’est également, “dire les maux. C’est toucher ce qui souvent passe inaperçu sous les yeux des gens. C’est dénoncer. C’est aussi toucher les grandes blessures de nôtre propre vie en passant par la vie d’un personnage. C’est découvrir une nouvelle facette de soi. C’est se laisser aller”, soutient-elle.
Porter l’histoire d’une ou telle protagoniste résulte d’un processus de se défaire de soi même. Lui attribuer une voix, une posture, et même des manies. Elisabeth Jasmé nous confie sur le caractère du personnage le plus difficile qu’elle a eu à mettre en scène.
“J’ai eu à jouer le rôle d’une jeune fille qui a perdu sa famille dans un incendie lors d’un massacre dans un ghetto et qui a fini par devenir une malade mentale, abandonnée dans la rue”, explique-t-elle. “C’était difficile pour moi, parce que je n’ai encore perdu aucun proche. Il m’était difficile de me mettre non seulement dans la peau d’une personne atteinte de maladie mentale et aussi d’une adolescente qui a vécu dans un ghetto où elle a vu mourir plein de gens y inclus ses parents sous ses yeux”, ajoute-t-elle. Pour mieux endosser ce rôle, elle souligne qu’elle a du se tourner vers son propre histoire pour “faire ressortir le naturel”.
Depuis son entrée dans ce nouveau monde, Elisabeth Jasmé déclare qu’elle a été marquée par la tolérance des uns vis à vis des autres puisque souvent, les gens jugent les autres, n’acceptent pas leur foi, leur différence sur le plan physique, leur façon de penser et même leur orientation sexuelle. “Dans ce monde, on ne juge pas l’autre mais on l’accepte tel qu’il est”.
D’autre part, les difficultés rencontrées dans le domaine du théâtre en Haïti sont multiples car les autorités concernées “n’investit pas assez pour ne pas dire pas du tout”. Des problèmes comme l’absence de salle adéquate destinée à regarder des pièces de théâtre, d’écoles de théâtre, le non encadrement des artistes engendrent un tableau peu reluisant du secteur. Et “les grands comédiens vivent modestement”. Par ailleurs, il y a beaucoup à faire pour changer la situation croit Elisabeth Jasmé, comme créer des écoles d’arts dans les villes de provinces et de la capitale, construire des amphithéâtres. Subventionner les comédiens, sponsorisés les spectacles etc.
Sur cette même lancée, la jeune artiste ambitionne de vivre de son métier et “pouvoir jouer dans des lieux appropriés et non s’y faire avec les moyens du bord”.
Shylene Prempin